Réforme du régime syndical : mauvaise cible, mauvaise direction

24 octobre 2025

Youri Blanchet, président de la FEC-CSQ

Alors que le ministre du Travail, Jean Boulet, s’apprête à déposer sa réforme du régime syndical à l’Assemblée nationale, il est essentiel de rappeler ce à quoi devraient ressembler des politiques véritablement porteuses pour le Québec. En cette période de polarisation exacerbée, une modification des règles du jeu devrait viser à renforcer le dialogue social en soutenant les syndicats dans leur rôle de défense des droits (de leurs membres comme de la population en général) et des politiques sociales, non le contraire. C’est en effet en luttant contre les inégalités que l’on construit une société plus juste et qu’on améliore le climat social.

Selon un sondage Léger réalisé pour la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), à peine 1 % des Québécoises et Québécois considèrent d’ailleurs la réforme du régime syndical proposée comme une priorité. Ce projet de loi, présenté comme essentiel par le gouvernement, ne répond pas aux préoccupations de la population. Il semble davantage servir une base électorale que l’intérêt général, comme le soulignait récemment à juste titre le président de la CSQ, Éric Gingras.

Le ministre, ancien avocat patronal, souhaite proposer de rendre facultative une portion des cotisations syndicales, notamment celles utilisées pour les recours devant les tribunaux, les campagnes publicitaires, les dons ou l’appui aux mouvements sociaux. Bien que 68 % des personnes répondantes au sondage estiment qu’il appartient aux membres d’un syndicat de décider librement de l’utilisation de leurs cotisations, il semble que la CAQ souhaite museler les contre-pouvoirs pourtant indispensables dans une saine démocratie.

Cela est d’autant moins pertinent lorsque l’on regarde de plus près quels genres d’organismes nous soutenons. À la FEC-CSQ, ce soutien (qui représente moins de 1 % de notre budget) va à des organismes tels que la Fondation pour l’alphabétisation, Oxfam-Québec, Tel-jeunes, le Regroupement des cuisines collectives du Québec, le Regroupement des maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale, etc. Si le gouvernement adoptait des politiques sociales plus fortes, nous n’aurions peut-être pas besoin de soutenir ces groupes… mais la CAQ a préféré réduire les impôts et subventionner les grandes entreprises. Et que l’on ne vienne pas nous dire que nous manquons de transparence dans nos états financiers alors qu’une demi-page y est consacrée dans nos statuts et règlements afin que, chaque année, nous ayons l’obligation de déposer un bilan financier vérifié par une firme externe.

De plus, il est important de rappeler l’origine de la formule Rand, instaurée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale à la suite d’un conflit de travail important à l’usine Ford Motor à Windsor en Ontario. Dans sa décision, le juge Ivan C. Rand propose justement ce mode de fonctionnement pour apaiser les conflits sociaux, oui vous avez bien lu! Cette formule, qui oblige tous les membres d’une unité de négociation à payer leur cotisation syndicale, garantit en effet une stabilité dans les milieux de travail, car cela oblige en quelque sorte les travailleuses et les travailleurs à parler d’une même voix, particulièrement lors des négociations. En contrepartie, l’exercice du droit de grève et de négociation est extrêmement encadré - la CAQ a d’ailleurs resserré encore cet encadrement avec le PL89 en mai dernier -, notamment dans le code du travail (services essentiels, périodes autorisées pour faire la grève, délais pour l’envoi des avis de grève, etc.). Il faut ne pas avoir fait de négociations et de grèves pour ne pas connaître toutes les contraintes légales qui s’appliquent dans ces cas. Plusieurs de nos membres nous interpellent d’ailleurs régulièrement lorsque des mobilisations concertées pourraient être considérées comme des grèves illégales. Leur souhait serait que l’on puisse élargir le droit de grève.   

Rappelons-le, renforcer les syndicats, c’est améliorer le climat social, car ils jouent un rôle fondamental dans la lutte contre les inégalités et la défense des droits collectifs. Briser le contrat social qui lie les travailleuses et les travailleurs, les syndicats et l’État serait donc une grave erreur.

La Fédération de l’enseignement collégial appelle donc à des politiques qui respectent le contrat social établi au Québec lors de la révolution tranquille et qui renforcent le dialogue social, plutôt que des politiques qui fragilisent les acquis d’une société qui n’a plus les moyens de se diviser davantage en détournant l’attention des véritables priorités de la population.