Aperçu de l’enquête CSQ sur le sens du métier : « On travaille de plus en plus et on enseigne de moins en moins, ce n'est pas normal »

18 mars 2025

Youri Blanchet, président de la FEC-CSQ

Tout cela n’est pas dans ta tête. Le problème, c’est l’organisation du travail et ça peut te rendre malade. Tel était le slogan d’une très pertinente campagne de la CSQ menée il y a quelques années afin de faire des liens entre le mal-être et les problèmes d’organisation du travail (manque d’autonomie et de reconnaissance, surcharge, insécurité d’emploi, etc.). Pour faire suite à cette dernière, la Centrale a entrepris de sonder plus spécifiquement ses membres pour explorer ce qui donne plus ou moins de sens à leur métier et ce qui permettrait de recentrer le travail vers l’essentiel. Bien résumé par la citation en titre, voici un bref aperçu des résultats pour notre Fédération : 

« Les gestionnaires sont censés être là pour nous permettre de faire notre travail, pas le contraire. » 

La majorité des membres de la Fédération de l’enseignement collégial (FEC) ont témoigné de l’alourdissement de leur tâche quotidienne. Selon les données recueillies, 88,9 % des répondant(e)s affirment que leur travail devient plus complexe, notamment en raison des exigences bureaucratiques accrues. Cette situation oblige un nombre croissant d’enseignantes et d’enseignants à effectuer leur tâche en dehors des heures normales de travail, un phénomène qui touche plus de 87 % d’entre eux. Ce travail est accompli principalement le soir et la fin de semaine, notamment dans le but de préserver un minimum de sens à leur profession. 

D’autres, comme nous le savons, demandent un accès au programme de réduction volontaire du temps de travail (PVRTT) afin de pouvoir exercer leur tâche dans des conditions plus acceptables. « Constat dans mon institution : de plus en plus de collègues, comme moi, demandent une réduction de temps de travail (qui vient avec une réduction de salaire) pour garder la tête hors de l'eau et être satisfait(e)s de leur travail. Pas normal... » 

Parmi les commentaires recueillis, les membres de la FEC mettent l’accent sur les tâches administratives qui ne relèvent pas de leur mission première. Comme nous avons pu le rendre public l’automne dernier, il est aberrant de constater que malgré une croissance du nombre de gestionnaires et d’administrateurs, ces derniers ne délestent pas les profs de leur charge bureaucratique, mais semblent au contraire la complexifier. Qui, alors, bénéficie réellement de cette inflation administrative?

Citations extraites de l’enquête CSQ sur le sens du métier 

« Depuis 12 ans, je suis à la coordination départementale pour deux programmes techniques au collégial et l'année prochaine je retourne faire de l'enseignement à temps complet puisque le surplus de tâches (dédoublement et relance constante), la reddition de compte et le transfert de responsabilité dans notre cour me donnent exactement le sentiment mentionné dans la vidéo, sentiment d'inefficacité et de mauvaise gestion de temps. Merci pour cette démarche. » 

« On vit un manque flagrant de leadership décisionnel dans nos institutions. On nous renvoie la responsabilité décisionnelle alors que nous n'avons aucun pouvoir » 

« C'est ça à mon sens qui rend mon travail malsain, des demandes des patrons, souvent pertinentes, mais des demandes qui n'ont pas de coûts pour ces patrons » 

Ces citations illustrent bien le sentiment existant en lien avec l’organisation du travail dans nos établissements. Pourtant, au lieu d’investir dans des solutions concrètes et participatives, les administrations ont plutôt tendance à multiplier les réunions et les comités, ce qui ne fait qu’ajouter à la surcharge sans augmenter le sentiment de participation réelle aux prises de décision. À l’échelle du Québec, les récentes compressions budgétaires ne font qu’envenimer cette situation. « Ne pas faire des comités de plus », écrira simplement une des personnes répondantes.  

« Nous devrions plutôt travailler collectivement à présenter tout le positif de l'éducation et de l'enseignement supérieur sur la société. » 

La recherche d’allègement des tâches administratives apparaît donc impérative pour améliorer les conditions de travail afin que les profs puissent se consacrer à l’enseignement. Outre la nécessaire valorisation de notre métier et de nos institutions, plusieurs profs ont également souligné d’autres facteurs qui influencent l’évolution de la profession enseignante au collégial ainsi que diverses pistes de solution.  

« Il y a de plus en plus de gestion à faire avec nos étudiants. Je souhaite souligner que les problèmes personnels des étudiants sont plus souvent le motif d’une rencontre (que prennent nos étudiants) que pour récupérer sur la matière du cours. L’anxiété est de plus en plus palpable et omniprésente. On doit développer de grandes aptitudes à travailler  avec des jeunes adultes fragilisés. Le travail de l’enseignant change beaucoup. Voici une autre raison qui alourdit notre travail. »

La transformation de la composition de la population étudiante constitue donc un autre élément important dans l’évolution de notre travail. L’arrivée de l’intelligence artificielle accentue également les enjeux liés au rapport au savoir de nos étudiantes et étudiants. Nos demandes syndicales répétées visant à accorder davantage de temps à l’enseignement, notamment en réduisant la taille des groupes, permettraient en partie de réduire la charge de travail si elles étaient entendues. 

Enfin, comme les cégeps n’évoluent pas en vase clos, nous constatons depuis plusieurs années un écart de plus en plus important chez les élèves du secondaire, entre celles et ceux qui ont davantage de facilité et les autres. Or, la division en groupes de niveau dans l’école publique et la popularité croissante d’une école privée fréquentée majoritairement par les enfants des mieux nantis ne sont certes pas étrangères à cette situation. Pourtant, de l’OCDE au Conseil supérieur de l’éducation, les recherches démontrent qu’en prolongeant le cursus scolaire commun le plus longtemps possible et en favorisant la mixité sociale on encourage la réussite du plus grand nombre. Nous aurons beau identifier les élèves les plus faibles via l’IA en fonction de leur MGS (moyenne générale au secondaire), si l’école secondaire demeure inégalitaire et ne permet pas à des jeunes d’être bien préparés aux études supérieures, nous n’aurons jamais suffisamment de moyens pour les accompagner convenablement.  

Je laisse donc le mot de la fin à cette réponse d’un (ou d'une) collègue : 

« Je souhaiterais aussi rêver, tiens : j'aurais voulu que notre gouvernement ait le courage politique de mettre fin à l'école à trois vitesses, car selon moi, c'est là la source de bien des problèmes actuels. Je ne souhaite pas qu'on abolisse l'école privée, au contraire : je souhaite qu'on élève l'école publique (avec ou sans programmes particuliers) au niveau de l'école privée! Et cela commence par un financement majeur dans l'école publique. »