Youri Blanchet, président de la FEC-CSQ
Qui aurait pu prédire qu’un milliardaire, producteur et animateur d’une téléréalité, devienne le président de la première puissance mondiale en exploitant à ce point la désinformation ? C’est pourtant ce à quoi nous venons d’assister chez nos voisins du Sud. Le rapport intitulé Perturbations à l’horizon publié au printemps 2024 nous avait pourtant prévenus. Après avoir identifié trente-cinq grandes perturbations mondiales, celle qui arrive en première position parle d’elle-même : « Les gens ne peuvent plus dire ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas ». Et ce n’est pas la nouvelle politique de « non-vérification » des faits sur Facebook qui va changer la donne !
C’est dans un tel contexte que nous avons choisi d’organiser le XXIVe Congrès de la FEC-CSQ sous le thème : « Du cœur au savoir ». Déjà confrontée à des défis de taille, notamment la formation à distance et le tout-numérique, notre pratique enseignante est maintenant interpellée par le développement fulgurant de l’intelligence artificielle (IA). Source d’information autant inépuisable que non fiable, rappelons que ChatGPT et ses acolytes n’ont pas été développés pour favoriser le bien commun et l’éducation publique, mais bien pour engranger des profits. Bien sûr, comme pour les autres outils numériques, nous y trouverons peut-être plusieurs avantages à court ou moyen terme, mais en attendant, l’accessibilité de ces puissants outils transforme le rapport au savoir de toutes les parties prenantes du monde de l’éducation et de la société.
Dans nos cégeps, l’arrivée de l’IA soulève à la fois les enjeux très concrets des évaluations et du plagiat, mais ces nouvelles possibilités sont également susceptibles de remettre en question auprès de la population étudiante, l’intérêt même d’accumuler des connaissances et d’en discuter dans un cadre scolaire. C’est tout un défi qui se dresse devant nous et qui devra nous inciter à continuer nos efforts pour mettre du cœur à l’ouvrage afin de poursuivre la transmission de nos savoirs disciplinaires.
À l’échelle de la société et additionné à la puissance des algorithmes qui favorisent les émotions plutôt que les faits, le potentiel d’effets négatifs liés à la désinformation est immense. Comment échanger collectivement et sereinement si on ne s’entend pas sur ce qui est vrai ou faux ? En mettant de l’avant le problème du déclin de la confiance envers nos institutions (politiques, médiatiques, etc.), le dernier congrès de la CSQ visait plutôt juste. Face à la remise en question des sources traditionnelles de connaissances, il est impératif de rebâtir des ponts pour favoriser le dialogue social entre toutes les couches de la population. Ces liens de confiance passent nécessairement par nos institutions d’enseignement au sein desquelles la formation de l’esprit critique devient plus importante que jamais.
Je ne saurais terminer ce mot sans une référence à ma discipline (je suis prof d‘Arts visuels) pour vous présenter l’affiche de notre prochain congrès triennal. Bien qu'elle puisse être déstabilisante pour plusieurs, l’illustration proposée est épurée, puissante, symbolique et énergique, ce qui en fait un véhicule visuel fort pour présenter notre thème. La spontanéité du geste, avec ses imperfections, tant dans l'écriture manuscrite que dans le dessin de type croquis, témoigne d’un certain laisser aller vers l'avant, une perspective qui illustre bien le chemin de l'apprentissage sur lequel nous rencontrons parfois un échec qui ne peut pas être effacé, mais qui nous permet d'apprendre un peu plus. La couleur jaune renvoie à la lumière, la clarté et la joie alors que la couleur rouge réfère à la passion et à l’énergie. Apprendre c’est entrer dans la lumière et enseigner, c'est transmettre le savoir avec passion.
Alors que ces nouvelles réalités provoquent un déplacement de notre rôle, de nos fonctions et de nos responsabilités, c’est également le rapport étudiant-professeur qui change et, par le fait même, le processus de transmission des savoirs, de la culture et de la connaissance en général. D’ici à ce que nous en discutions ensemble au mois de juin lors de notre congrès, je vous souhaite un excellent début de session 2025.
