Par Julie Allard, coordonnatrice du comité d'action féministe de la FEC (CAFFEC)
L'actualité récente nous oblige à poser un regard lucide et sans complaisance sur les violences faites aux femmes. Qu'elles soient conjugales, politiques ou institutionnelles, elles témoignent d’une problématique universelle et persistante. Les échos médiatiques rappellent sans relâche une réalité troublante : dans de nombreuses régions du monde, les droits des femmes stagnent, voire régressent. Le contrôle politique du corps des femmes, par exemple par des restrictions sur le droit à l’avortement, comme l’a illustré Léa Clermont-Dion dans La peur au ventre, est une forme de violence insidieuse.
D’ailleurs, depuis l’élection de Donald Trump, une parole anti-choix s’est libérée, et certains osent même clamer « ton corps, mon choix ». Le recul des droits des femmes les expose à des atteintes violentes à leur dignité : violences sexuelles endémiques lors de conflits armés, oppression religieuse des femmes en Iran, apartheid de genre en Afghanistan ou encore maintien de pratiques ancestrales insoutenables comme l'excision. Un récent rapport de l’ONU lance un cri d’alarme : les femmes paient un tribut de plus en plus lourd dans les conflits armés, piégées par des structures patriarcales qui entravent les avancées vers la paix. Ces violences se produisent un peu partout, à chaque instant, tandis que de nombreuses autres restent invisibles, occultées par le flot incessant des urgences médiatiques.
Ces violences ne se produisent pas uniquement ailleurs, elles ne se limitent pas à des territoires éloignés ou à des réalités étrangères. Les féminicides continuent d’endeuiller des familles au Québec : en date du 21 novembre 2024, 25 féminicides ont été recensés cette année, tandis que 187 femmes ont perdu la vie au Canada en 2023. Ces homicides qui ciblent spécifiquement des femmes rappellent la nécessité d'un terme spécifique pour désigner ces crimes genrés et les combattre. Si la tuerie de Polytechnique avait lieu aujourd’hui, l’utilisation de ce terme ferait certainement consensus. Pourtant, il y a 35 ans, on attribuait cet attentat à la folie, reléguant son auteur au rang de « tireur fou »; il ne pouvait y avoir d’autres explications sensées. Un reportage approfondi de France Inter en collaboration avec Mélissa Blais, chercheuse québécoise, revient sur le drame du 6 décembre 1989 et souligne l'importance d’en garder le souvenir vivant.
Dans les cas de féminicide en contexte conjugal ou de filicide, l’analyse requiert une approche différente, car ces drames surviennent au sein d’une relation intime, lieu où s’entremêlent des dynamiques interpersonnelles complexes à prendre en considération. Les cas présentés dans un reportage récent de l'émission Enquête le démontrent bien, car on conclut que « le système policier et judiciaire, mais aussi les proches n'ont pas su voir les drapeaux rouges, faute de comprendre le contrôle coercitif ». La criminalisation à venir du contrôle coercitif, bien accueillie dans les milieux judiciaire et communautaire, devrait donner des outils supplémentaires pour prévenir les féminicides et intervenir dans les cas de violence conjugale.
De leur côté, les femmes autochtones, plus touchées par la violence familiale et conjugale, pourraient avoir besoin d’interventions plus ciblées, prenant en compte leur contexte culturel. Le phénomène de la violence envers les femmes autochtones a mené à une enquête nationale en 2015. Le rapport sur les femmes autochtones disparues ou assassinées fut déposé en 2019, mais qu'en est-il cinq ans plus tard? Le bilan semble mitigé. Il ne se passe pas grand-chose selon certaines, mais pour d'autres, des projets porteurs d'espoir en ont découlé.
COMPRENDRE
Identité masculine et stéréotypes : un facteur clé dans la prévention de la violence Ces derniers temps, au Québec, on essaie fort de comprendre la montée de discours misogynes, souvent perçus comme le reflet d’une détresse masculine que certains appellent « une crise de la masculinité ». Des documentaires, symboliquement bien nommés, Alphas, Adonis ou Mascus, des balados et des débats médiatiques explorent ce phénomène qui semble toucher particulièrement les plus jeunes. C'est dans l'air du temps, même un spectacle d'humour s'y consacre. Il apparait clairement que la masculinité que l’on dit « traditionnelle » est basée sur la complémentarité de rôles de genre stéréotypés, imposant ainsi aux femmes une position subordonnée dans cet agencement hétéronormatif. Les représentations sociales contraignent également les hommes en leur indiquant ce qu’ils « doivent » être, des comportements qui peuvent les mener à exercer de la violence. Ces visions plutôt caricaturales des rôles de genres peuvent aussi renforcer leur impression d’avoir le « droit d'exiger », donc d’exercer un contrôle sur l’autre. Une réflexion collective est nécessaire pour promouvoir une masculinité où le « pouvoir de la sensibilité » pourrait être proposé comme antidote à la peur et à la domination. Néanmoins, les stéréotypes genrés persistent à travers les structures éducatives et institutionnelles et causent des lacunes importantes dans la sensibilisation des jeunes. Une enquête récente révèle l'insatisfaction des adolescentes et adolescents québécois envers leurs cours de sexualité, qui ne semblent répondre ni à leurs attentes ni à leurs besoins. Cette insuffisance reflète une reproduction d'attitudes relatives au genre qui sont figées, telle que soulignée par des hommes qui, dans le contexte des viols de Mazan, ont signé une feuille de route pour en finir avec la domination masculine, appelant à une transformation collective. |
AGIR
Vers des solutions : éducation, sensibilisation et solidarité Les 12 jours d’action contre les violences faites aux femmes sont l’occasion de renforcer la solidarité et d’amorcer un réel changement. Cette mobilisation a une longue histoire à travers le monde. Autant au fédéral qu’au provincial, les gouvernements reconnaissent depuis des années l’importance de la sensibilisation à cet enjeu. Toutefois, l’ampleur de ces problématiques peut susciter un sentiment d'impuissance inconfortable, mais commode. Il ne s’agit pas de nous culpabiliser davantage - dans notre "société du burn-out", nos vies peuvent être complexes et éreintantes - mais de veiller à préserver notre capacité d'indignation et se mettre en action. Le rapport 2023-2024 de SOS violence conjugale révèle qu’environ 6 % des demandes d’aide ou d’informations à l’organisme viennent du milieu professionnel, soit de l’employeur ou d’un ou une collègue. Aller chercher de l’information et se former pour venir en aide à une personne avec laquelle on travaille, c’est aussi une façon d’agir. |
Mais quoi faire d’autre?
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