Au cours des derniers mois, un professeur de cégep s’est fait accuser de racisme en classe parce qu’il avait osé suggérer «que certains pays d’Afrique sont plus pauvres que ceux de l’Amérique du Nord». Une autre s’est fait traiter de frustrée, car elle proposait des œuvres féministes dans ses cours. D’autres ont subi des sanctions disciplinaires, dont l’un, pour avoir émis une opinion sur les mesures de prévention liées à la COVID, et l’autre, pour avoir écrit un commentaire impliquant son cégep dans les médias sociaux.
Il existe malheureusement d’autres cas similaires à ceux-ci. S’agit-il de cas isolés? Il est difficile de le dire, mais la tendance semble indiquer que nous n’assistons pas à un phénomène qui régressera dans les prochaines années.
Le portrait est complexe et les cas les plus «sensationnels» cachent souvent des réalités sous-jacentes préoccupantes qui semblent répandues à travers le réseau collégial. À titre d’exemple, nommons la volonté de certaines directions de décourager les enseignants et enseignantes voulant prendre la parole dans l’espace public. Un sondage réalisé en 2023 par la Fédération de l’enseignement collégial (FEC-CSQ) démontre également que la moitié du personnel enseignant pratique l’autocensure par crainte de plaintes ou de représailles.
Loi 32
Voilà deux ans, à la suite de l’affaire Lieutenant-Duval à l’Université d’Ottawa et du rapport Cloutier, l’Assemblée nationale adoptait la loi 32 protégeant la liberté académique dans les universités. Cette loi ne protège malheureusement pas les enseignants des cégeps, qui font pourtant face aux mêmes défis que leurs collègues universitaires lorsque vient le temps, par exemple, d’aborder certains sujets sensibles en classe, de discuter de certaines réalités sociales ou encore simplement d’utiliser certains mots. La loi 32 ne protège pas plus les membres du personnel enseignant lorsqu’ils émettent des critiques sur leur propre institution dans l’espace public.
La prudence excessive, l’inhibition contre-productive et l’art de marcher pédagogiquement sur des œufs sont maintenant des pratiques courantes dans le milieu collégial.
Tout ceci n’est pas sans risque, non seulement pour la santé mentale du personnel enseignant, mais aussi et surtout pour la qualité de l’enseignement. Rappelons que la circulation des idées, même controversées, devrait être au cœur de la formation des étudiantes et étudiants collégiaux qui sont à un stade important du développement de leur pensée.
Standards et attentes
De plus, dans le contexte actuel où les classes ne sont plus à l’abri de la radicalisation et de la polarisation de certains débats sociaux, il devient prépondérant de mettre en place des balises qui permettront au personnel enseignant d’effectuer correctement leur travail dans un climat où la quiétude intellectuelle est possible.
Les accusations et les procès d’intention ne peuvent entrer dans la relation pédagogique sans atteinte au fondement même de la mission de l’école.
Ces impératifs inhérents aux milieux de savoirs et d’échanges que sont les cégeps doivent par ailleurs se conjuguer à la reconnaissance implicite que nous vivons dans un monde où la diversité, l’inclusion et l’altérité sont des réalités riches en débats.
Afin de garantir que les enseignants de cégep puissent, dans le cadre de l’espace réservé à leur autonomie professionnelle, poursuivre les multiples dimensions de leurs tâches d’enseignement, de publication, de création et de recherche, et ce, sans menace de réprimande, d’ingérence abusive et de tentative de censure, il est impératif que l’application de la loi 32 s’étende au niveau collégial. Cela permettra une uniformisation des standards et des attentes en matière de liberté académique, et par le fait même, une meilleure cohérence du réseau de l’enseignement supérieur au Québec.
Sylvain Benoit, vice-président de la Fédération de l’enseignement collégial (FEC-CSQ)
Pour une meilleure reconnaissance de la liberté académique au collégial | JDM
Pour en savoir plus sur la campagne de la FEC-CSQ >> Liberté académique : la FEC-CSQ demande l'extension des dispositions législatives aux cégeps - Fédération de l’enseignement collégial (FEC-CSQ)