Dans un contexte où la technologie évolue à une vitesse vertigineuse, la citation de l’animateur de Radio-Canada Mathieu Duggal, « Le serpent est aveugle quand il mue », semble parfaitement illustrer notre rapport actuel à l’intelligence artificielle (IA). L'arrivée de ChatGPT en novembre 2022 a marqué un tournant significatif, provoquant une onde de choc dans le milieu éducatif. La rapidité de cette évolution pose un défi majeur : s’adapter adéquatement et rapidement à ces nouvelles technologies qui redéfinissent nos pratiques et nos cadres de référence.
Cette adaptation s'est avérée cruciale dès les premiers mois suivant l'introduction de ChatGPT. Plusieurs enseignants, confrontés à l'impact immédiat de cet outil, ont dû revoir en urgence leurs plans de cours durant les congés des fêtes, tandis que les cas de plagiat et la difficulté à les prouver ont mis en lumière les défis liés aux dissertations et travaux à domicile. Face à ces enjeux, certains ont opté pour un retour aux examens sur papier, se heurtant à des problèmes logistiques non négligeables, tels que le manque d'espace dans les locaux, les défis liés à la surveillance des examens et la lourdeur de la correction. Cette situation a également soulevé des questions spécifiques pour les élèves à besoins éducatifs particuliers, qui nécessitent un accès à l'informatique.
Comprendre et concevoir l’interaction humain-IA en éducation Conférence organisée dans le cadre du Conseil général de la FEC-CSQ le 29 mai Si l’année 2023 fut l’année de l’IA générative, 2024 et les suivantes seront celles des agents ou assistants d’IA (AIA). Des offres de services d’AIA se multiplient déjà : Copilot (Microsoft Office 365), Gemini (Google Workspace), Devin (Cognition AI), etc. Concrètement, la croissance rapide de l’agentivité de l’IA signifie qu’elle ne peut plus être considérée comme un simple outil que l’humain utilise. Alors comment envisager la forme que pourrait ou devrait prendre l’interaction humain-IA ? Doit-on intégrer cette technologie agentielle dans les milieux de l’éducation et, si oui, comment le faire de manière responsable et bénéfique ? Cette présentation vise à expliquer les transformations technologiques en cours et ses enjeux pour le monde de l’éducation. À la lumière de la recherche disponible et des bonnes pratiques d’intégration de l’IA dans notre communauté de recherche-action, nous dégagerons des pistes de réflexion éthique et d’action pédagogique afin de mieux nous préparer à l’ère de l’AIA. Conférencier : Dave Anctil enseigne la philosophie et l’intelligence artificielle (IA) au Collège Jean-de-Brébeuf. Il est aussi chercheur affilié à l’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’IA et du numérique (OBVIA) de l’Université Laval et chercheur associé en éthique de l’IA au Centre de recherche de l’Université de Montréal (CRE). |
La réponse institutionnelle à ces défis a souvent été jugée trop lente, tant de la part du ministère de l'Éducation que des directions d'établissements. Cependant, il faut souhaiter que la publication du rapport du Conseil supérieur de l’éducation permette d’apporter davantage d’eau au moulin. Cette lenteur a contraint le personnel enseignant à improviser avec les moyens du bord, allant parfois jusqu'à financer de leur poche des abonnements à des plateformes payantes comme la nouvelle version de ChatGPT 4 pour en maîtriser l'usage et comprendre ses implications, sans oublier l'acquisition de logiciels de vérification de travaux.
Pour une utilisation éthique et responsable de l'IA
Alors que la Centrale des syndicats du Québec (CSQ)a participé à différents forums de consultation gouvernementaux et a déposé un avis dès juin 2023 intitulé “ Pour une utilisation éthique et responsable de l’intelligence artificielle (IA) en éducation et en enseignement supérieur”, notre fédération a rapidement organisé des rencontres pour discuter de l'impact de l'IA et des outils numériques sur l'enseignement collégial. Ces discussions ont souligné l'importance cruciale de l'éducation au numérique pour les jeunes, dans un contexte où le rapport au savoir et à sa production est profondément modifié par ces technologies. La nécessité d'une consultation étroite du milieu éducatif dans l'adoption de ces outils est également apparue comme une évidence, notamment pour éviter les pièges des solutions miracles proposées par certaines entreprises privées. Les étudiants eux-mêmes expriment des inquiétudes, particulièrement vis-à-vis des outils prédictifs de réussite scolaire, qui posent la question éthique du traitement algorithmique de leur potentiel éducatif avant même le début de leurs études. Désormais, avec l’introduction des robots conversationnels, nos collègues professionnels et le personnel de soutien se sentent également davantage interpellés.
L’ensemble du monde du travail est d’ailleurs potentiellement touché comme le rappelle le rapport de l’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’IA et du numérique (OBVIA intitulé Négocier la gestion algorithmique: un guide pour les acteurs du monde du travail | ) Nous nous trouvons à un moment charnière, au cœur d'une révolution numérique qui ne peut être ignorée. Comme l'indique Joshua Bengio, un des spécialistes québécois de la question, il est impératif d'encadrer l'utilisation de l'IA afin de garantir son utilisation éthique, c'est-à-dire qu’elle soit au service du bien commun plutôt que pour des intérêts privés visant uniquement le profit. Les enjeux sont considérables, touchant à l'éducation, à la démocratie et à l'environnement. Il est donc crucial de poursuivre le débat sur les implications sociales de l’IA et de son impact sur l’enseignement collégial et le monde de l’éducation. De l’intégrité intellectuelle à la compréhension et la maîtrise de ses possibilités en passant par la nécessité de développer un encadrement commun, il faut baliser l’utilisation de l’IA car les technologies ne sont pas neutres mais serviront à ce que nous en ferons.
À lire également l'entrevue de Youri Blanchet : Véronique Duval, “L’UQAR encadrera l’intelligence artificielle | Radio-Canada" , Radio-Canada Bas-Saint-Laurent, 9 avril 2024.