Budget 2024 : Des choix qui en disent beaucoup plus que le déficit

14 mars 2024

Youri Blanchet, président de la FEC-CSQ

On a fait grand cas des 11 milliards de dollars de déficit à l’occasion de la présentation du budget 2024 du gouvernement du Québec cette semaine. Outre le fait qu’il est tout à fait normal qu’un gouvernement fasse un déficit pour financer de nécessaires services publics, on aurait aimé davantage d’indignation pour rappeler les raisons de ce dernier : des baisses d’impôts insensées dans une société aussi riche, mais également inégalitaire que la nôtre.  

Un budget qui évite le pire 

Cependant, comme l’a rappelé la CSQ il s’agit : d’« Un budget qui évite le pire … pour l’instant ». Le pire étant un retour à l’austérité que laisse d’ailleurs entrevoir l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) dans son blogue : « Budget du Québec 2024 : un prélude à l’austérité ».  

Pour le moment, l’augmentation de 3,5 % du budget alloué à l’enseignement supérieur permet un maintien minimal du niveau des dépenses considérant l’inflation et le récent règlement de nos conventions collectives. Malheureusement, tous les ministères n’ont pas connu le même sort alors que les sommes consenties à l’environnement diminuent de 5,7 % et de 2,2 % pour la solidarité sociale. 

Quelles orientations budgétaires pour les cégeps ? 

Mais au-delà de la valse des millions, que nous apprend ce budget quant à la vision gouvernementale de l’avenir des cégeps ? Parmi la quantité de documents déposés par le ministère des Finances, on retrouve une explication de ces choix budgétaires pour chaque ministère dans le Budget de dépenses 2024-2025 - Plans annuels de gestion des dépenses des ministères et organismes (gouv.qc.ca).  

Orientations budgétaires pour l’enseignement supérieur (pages 162 à 165) : 

  1. Répondre aux besoins évolutifs de la société québécoise (accès, diplomation, recherche et valorisation de la culture);
  2. Accompagner le réseau dans son développement (Infrastructures, collaboration interordre et mobilité étudiante); 
  3. Offrir à chaque personne les conditions favorables à l’accomplissement de son parcours de formation (Soutien financier, environnement éducatif favorable à la réussite); 
  4. Adopter des approches novatrices de mobilisation du personnel (attraction et rétention du personnel).  

Ne pouvant être contre la vertu, nous partageons évidemment plusieurs des objectifs visés par le gouvernement, notamment ceux qui soutiennent l’accès et la diplomation à l’enseignement supérieur, la mobilité étudiante, la valorisation de la culture, l’attraction et la rétention du personnel ainsi que la mise en place d’un environnement d’études et de travail favorisant le bien-être de la communauté collégiale. Cependant, le diable est toujours dans les détails…  

Le diable est dans les détails 

Alors que pour chaque orientation les actions envisagées sont précisées, on remarque que l’action gouvernementale pour le réseau collégial repose en très grande partie sur la « fameuse » opération main-d’œuvre (notamment les bourses Perspective Québec) et le Plan d’action pour la réussite en enseignement supérieur.  

Nous avons déjà eu l’occasion de critiquer plusieurs aspects de ces programmes. D’une part, l’opération main-d’œuvre est réductrice, car elle s’adresse uniquement aux programmes d’études identifiés comme des secteurs en pénurie selon qu’ils soient ou non « stratégiques pour l’économie ». Les bourses Perspective Québec, si elles sont intéressantes, ne profitent pas à toutes et tous, en plus de devoir encore montrer leur efficacité quant à l’objectif recherché.  

En ce qui concerne le Plan d’action sur la réussite qui a été lancé il y a déjà quelques années, les sommes qui lui sont allouées sont inférieures aux années précédentes. De plus, selon les données dont nous disposons, les millions déjà investis dans ce dossier sont loin d’avoir été marquants dans tous les milieux. Outre le manque de concertation nécessaire à un projet d’une telle importance, les budgets ont trop souvent permis d’augmenter le nombre de personnel cadre et professionnel plutôt que de soutenir directement le travail enseignant.  

Mais il y a pire…  

Plutôt que d’investir davantage pour développer les infrastructures de nos établissements (alors que 65 % sont en mauvais état et que la situation se détériore comme le révélait récemment le Journal de Québec ), le passage suivant nous fait particulièrement grincer des dents : « La formation en ligne permet notamment d’augmenter la capacité d’accueil des collèges et des universités, tout en offrant des modalités d’enseignement variées » (p.163). Cette solution au manque d’espace dans plusieurs établissements nous apparaît très problématique spécifiquement au regard de la récente clause négociée dans notre convention collective sur la formation à distance. En effet, lors de la dernière négociation, nous avons intégré plusieurs balises visant à encadrer la FAD dont : la primauté de l’enseignement en présence, le nombre maximal d’étudiantes et d’étudiants par groupe ainsi que la consultation des départements concernés. Tout laisse à penser que nous devrons être extrêmement vigilants sur cette volonté de « transformation numérique des campus » et ce, particulièrement à l’ère de l’intelligence artificielle. 

Et ce n’est pas tout !  

Le ministère mise en effet sur « la poursuite de sa transformation numérique » pour mobiliser ses employés et attirer la relève. Cette transformation qualifiée « d’approche novatrice de mobilisation du personnel » aurait déjà permis de favoriser « un milieu de travail favorable au bien-être ». S’il est vrai que, pendant la pandémie, le ministère a été assez proactif dans ses consultations avec les organisations syndicales, dans les milieux de travail c’est plutôt une multiplication des cas de climat de travail toxique qui ont fait les manchettes. De Sorel-Tracy, à Lennoxville en passant par Saint-Hyacinthe, ce n’est d’ailleurs que la pointe de l’iceberg de cas de conflits internes qui a été couvert par les médias.  

Reprendre l’initiative dans nos cégeps 

Bien que nous sortions à peine d’une éprouvante ronde de négociation, cette dernière a démontré la capacité de mobilisation pouvant exister entre collègues dans chacun de nos milieux de travail. Face à plusieurs orientations gouvernementales pour le réseau collégial, mais également pour l’ensemble de la société, nous devons miser sur la solidarité créée au cours des derniers mois pour reprendre l’initiative face au gouvernement, au ministère et à nos directions. Outre le fait de s’approprier et de mettre en œuvre notre nouvelle convention collective, cela devra également passer par une réaffirmation du rôle des syndicats locaux dans les prises de décisions des instances décisionnelles des cégeps. À l’échelle du Québec, le Congrès de la CSQ de juin 2024 sera quant à lui l’occasion de mettre de l’avant nos préoccupations sociales et environnementales.