Youri Blanchet, président de la FEC-CSQ
« Pas pressés de décrocher leur diplôme » titrait dernièrement un article du journal La Presse. La journaliste y mentionnait que le taux d’obtention d’un diplôme d’études collégiales dans les délais prévus avait diminué de deux points de pourcentage depuis 2010 pour se situer à 33,1 % pour le préuniversitaire et à 32,4 % pour le secteur technique. Même s’il n’est pas récent, ce phénomène d’allongement de la durée des études est pertinent à examiner. Nous souhaitons cependant apporter certaines nuances afin d’éviter d’être trop pressés d’en arriver aux conclusions.
Si seulement près du tiers des jeunes inscrits au cégep arrivent à terminer leur diplôme en deux ans pour le préuniversitaire et en trois ans pour le DEC technique, l’affirmation selon laquelle les jeunes ne sont pas pressés d’obtenir leur diplôme nous apparait mal représenter une réalité plus complexe. De plus, malgré l’allongement des études collégiales pour plusieurs, le taux de réussite a été stable durant la même période alors que le taux d’accès au cégep, tout comme à l’université, a plutôt augmenté.
Il faut tout d’abord mentionner que la moyenne nationale cache des réalités diverses selon les régions et les programmes, ou encore entre les filles et les garçons. Dans certains cégeps, la moyenne de diplomation dans le temps prévu est bien supérieure à 33 %. Dans mon cégep d’origine, elle était récemment de près de 60 % au secteur préuniversitaire pour les filles. Pour avoir un portrait complet, il s’avère également indispensable de prendre en considération les jeunes inscrits en « accueil et transition ». Ce programme compte de plus en plus de jeunes, notamment à cause de l’assouplissement des conditions d’admission, mais sans doute aussi parce que le système de l’école à trois vitesses au secondaire nuit au niveau scolaire des jeunes de milieux défavorisés. Or, un passage par le Tremplin DEC, comme on le surnomme, produit inévitablement un changement de programme et un allongement de la durée des études. L’effet de la pandémie devrait également être pris en considération dans une telle analyse.
Le portrait, comme l’explication des causes de l’allongement des études, est donc plus complexe qu’il n’y parait. Si certains jeunes allongent leur parcours scolaire par choix individuel, par exemple pour faire du sport, il nous semble que le phénomène relève de changements collectifs et institutionnels plus larges. S’inscrivant dans une logique de compétition et d’approche client, les cégeps et les collèges privés diversifient les curriculums pour être plus attractifs. Or, ce choix collectif n’est pas sans effet sur les transformations observées. Dans le même ordre d’idées, nous devons nous interroger sur le « besoin » des cégépiennes et cégépiens de multiplier les heures de travail, soit pour subvenir à leurs besoins, soit pour satisfaire un certain niveau de consommation. Est-ce que le soutien financier aux études est insuffisant pour plusieurs? Est-ce que, pour d’autres, l’existence de pratiques de (sur) consommation ne nous appartient pas un peu? Pour ma part, j’aurais tendance à répondre positivement à ces deux questions et à inciter notamment les institutions collégiales à interpeller les employeurs afin qu’ils prennent davantage en considération le temps nécessaire à consacrer aux études.
J’émets donc également certaines réserves lorsque la ministre de l’Enseignement supérieur, Mme Déry, affirme dans le même article qu’il faut « continuer à offrir le parcours le plus rapide vers la diplomation ». Il faut surtout s’assurer du bien-être des jeunes qui fréquentent nos établissements en ayant les moyens de les soutenir le mieux possible dans ce moment important de leur parcours scolaire et personnel. Il ne faudrait surtout pas utiliser le phénomène de l’allongement des études pour argumenter en faveur d’une multiplication encore plus grande de certifications ou d’attestations plus courtes et beaucoup moins complètes que le DEC.
Ce texte a été publié dans La Presse, le lundi 13 février 2023.