Les participantes au Réseau de la condition des femmes de la CSQ après s’être coupé une mèche de cheveux en solidarité envers les Iraniennes.
Compte-rendu d’une conférence de Nimâ Machouf, offerte au Réseau de la condition des femmes de la CSQ le 18 novembre 2022, à Québec.
Par Silvie Lemelin (coordonnatrice du comité de la condition des femmes)
Nimâ Machouf, Québécoise de longue date, née en France mais ayant grandi et fait ses études en épidémiologie à Montréal, a pris la peine de venir rencontrer les participantes du Réseau de la condition des femmes de la CSQ pour leur parler de ce qu’elle considère être la première révolution féministe au monde. Une révolution qui, elle l’espère, va bénéficier à toutes les personnes qui luttent contre l’intégrisme.
Cette spécialiste en santé publique, que l’on a beaucoup vue à la télévision durant la pandémie, a tenu à nous rappeler comment, avant 1979, les femmes iraniennes disposaient d’une assez grande liberté : très éduquées, elles fréquentaient en grand nombre l’université, pouvaient devenir médecins, juges, etc. Elles pouvaient fumer, conduire et aussi « voter ». Certes, l’Iran vivait sous une dictature, celle du Shah Reza Pahlavi, une monarchie à parti unique, sans liberté d’expression. Mais l’Iran était tout de même loin de la théocratie qui s’est installée en 1979 avec l’Ayatollah Khomeini qui, s’appuyant sur les lois islamiques du XIIIe siècle tirées du Coran, s’autoproclame guide spirituel de la révolution. Depuis lors, les droits des femmes ont diminué comme peau de chagrin : elles n’ont plus le droit de divorcer et, si elles quittent leur mari, elles perdent leurs enfants. Elles ne peuvent plus voyager ni travailler sans la permission de leur mari (les femmes juges ont même dû retourner à la maison). Elles sont d’éternelles mineures, quoi. Leur parole vaut la moitié moins que celle d’un homme. Et elles se sont vu imposer le port du voile. C’est d’ailleurs ce qui a couté la vie à Mahsa Amini, cette jeune étudiante tuée par la police de la moralité [1] pour avoir mal porté son voile et dont l’histoire a soulevé les femmes, puis toute la société iranienne.
L’histoire de Mahsa
Le 13 septembre dernier, Mahsa Amini, étudiante de 22 ans originaire du Kurdistan, s’est rendue à Téhéran avec sa famille pour visiter la ville. Pendant qu’elle prenait le métro avec son frère, elle s’est fait interpeller par la police de la moralité, supposément parce qu’elle portait son hijab de façon inappropriée (selon certaines sources, elle avait des cheveux qui dépassaient). Les policiers l’ont amenée de force dans un centre de détention, ce qui n’est malheureusement pas rare dans la vie des femmes iraniennes. Mais au lieu d’une réprimande, une « formation » ou encore une amende comme c’est le cas habituellement, Mahsa est tombée dans le coma peu après et est décédée le 16 septembre. Les autorités iraniennes ont déclaré qu’elle était morte d’une crise cardiaque due à une condition préexistante non diagnostiquée. Par contre, selon des femmes qui étaient au centre de détention en même temps qu’elle, elle aurait été sauvagement battue et aurait succombé à ses blessures, probablement à la suite d’une fracture du crâne. Source : Qu’est-ce qui se passe avec les femmes en Iran? Noovo-Moi (12 octobre 2022) Qu'est-ce qui se passe avec les femmes en Iran? (noovomoi.ca) (page consultée le 28 novembre 2022) |
Pour Mme Machouf, l’histoire tragique de Mahsa a mis le feu aux poudres, déclenchant une révolution d’abord faite par les femmes et pour les femmes, une révolution féministe non pas contre le port du voile, mais contre l’obligation du port du voile; une révolution pro-choix, en fin de compte. Peu à peu, cette histoire est devenue un prétexte : après 43 ans d’un régime aux lois misogynes, l’Iran a explosé. À travers Mahsa, le peuple réclame maintenant l’égalité entre les genres, la fin du gouvernement islamique, son remplacement par une démocratie laïque où les femmes et le peuple entier pourraient disposer de leur pleine liberté politique. Et porter le voile ou non, selon leur choix.
Mais la répression a fait son œuvre, comme il fallait s’y attendre. Près de 500 personnes sont décédées dans les rues, dont quelque 50 enfants. Les personnes blessées durant une manifestation, si elles se présentent à l’hôpital, risquent d’être reprises par les forces de l’ordre qui s’y rendent pour consulter les dossiers médicaux, trouver les adresses et aller ensuite arrêter les contestataires à leur domicile. Les médecins ont voté une grève pour protester contre cet abject procédé. Le Parlement, supposé représenter le peuple, a poussé l’odieux jusqu’à voter en faveur d’un durcissement de la répression, afin que les personnes arrêtées, qui pourraient atteindre le nombre de 15 000, soient exécutées.
Mais les femmes persistent, rejointes désormais par les hommes, dont beaucoup de jeunes, et par les habitants de villes et de villages du nord au sud du pays. Un appel à la grève générale de trois puis de dix jours a été lancé. La diaspora iranienne suit de près l’évolution de la situation et se présente comme la voix d’une population iranienne avide de droits et libertés. Les femmes iraniennes de Montréal ont établi un quartier général pour assurer une veille médiatique et établir des contacts en Iran, via les médias sociaux, même si la plupart d’entre eux ont été coupés.
Mais que peut-on bien faire, ici et maintenant, pour appuyer cette révolution? Mme Machouf suggère quelques pistes, d’abord politiques. On peut inciter le gouvernement canadien à décréter des sanctions contre les personnes liées à la répression (et leur famille). On peut exiger du Canada qu’il cesse d’accueillir ces pseudo-immigrants investisseurs qui quittent trop souvent l’Iran après l’avoir pillé et que l’on devrait plutôt expulser ou refouler aux frontières. Pour que la peur change de camp, pour que le peuple cesse de craindre la répression, il faut que le pouvoir soit fragilisé par des pétitions internationales ou par le retrait des ambassadeurs. Certes, le Canada a déjà fermé son ambassade (sous Stephen Harper). Mais rien ne l’empêche maintenant de mettre les groupes militaires gardiens de la révolution sur la liste des terroristes, des personnes indésirables, comme les États-Unis l’ont déjà fait. Justin Trudeau, ses ministres et même les journalistes peuvent refuser de rencontrer les dirigeants iraniens : ce sont des bourreaux, pas des dignitaires. Nos femmes politiques devraient se prévaloir de leur immunité diplomatique pour refuser de porter le voile lors de leurs visites dans des pays musulmans intégristes. Les Nations Unies pourraient également être interpelées pour expulser l’Iran de la Commission de la condition de la femme de l’ONU. Notre centrale syndicale et nos fédérations pourraient, elles aussi, adopter des motions d’appui aux iranien.ne.s et faire pression sur le gouvernement canadien et les députés fédéraux. Nous y veillerons.
Enfin, nous certifie Nimâ Machouf, chaque geste d’appui citoyen est important pour ce mouvement sans tête dirigeante (vu le danger potentiel), qu’il s’agisse d’une manifestation à Montréal, de plus petites actions solidaires (se couper une mèche de cheveux, comme certaines d’entre nous l’ont fait à la fin du Réseau de la condition des femmes) ou simplement de la publication d’articles comme celui-ci. Tout cela donne de la force aux militant.e.s qui bravent la mort chaque jour, qui ont besoin de savoir qu’on parle d’elles et d’eux, de savoir qu’ici aussi on scande leur slogan féministe (d’origine kurde). Entretenons cet espoir qui en inspire d’ailleurs beaucoup d’autres dans des États intégristes ayant eux aussi trahi les femmes depuis trop longtemps. Contre l’assassinat de Mahsa, contre la répression de ses consoeurs et de ses confrères, contre la violence individuelle ou politique envers les femmes : Femmes-Vie-Liberté!
Pour en savoir plus sur l’appel de la députée solidaire Ruba Ghazal aux députées de l’Assemblée nationale :
https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2022-10-21/solidarite-envers-les-femmes-iraniennes/ruba-ghazal-veut-une-declaration-commune-des-parlementaires-quebecoises.php
Son entrevue avec Mario Dumont : https://fb.watch/h3rGgi8QOt/
[1] La police de la moralité est une force religieuse spéciale, constituée de femmes et d’hommes en uniforme, dont le mandat est de circuler dans les endroits publics pour faire respecter les lois islamiques. […] Les officiers de la police de la moralité circulent en groupes de 6 personnes, 4 hommes et 2 femmes, surtout dans les lieux de rassemblement et autres endroits où il y a beaucoup de monde. Source : Qu’est-ce qui se passe avec les femmes en Iran? Noovo-Moi (12 octobre 2022) Qu'est-ce qui se passe avec les femmes en Iran? (noovomoi.ca) (page consultée le 28 novembre 2022)