Malgré la crise sanitaire qui ne finit plus, nous nous devons de garder un œil attentif à la mise en œuvre du Plan d’action sur la réussite en enseignement supérieur (PARES). Rendu public à l’occasion de la rentrée automnale 2021 par la ministre McCann et doté d’un budget de 40 millions par année pendant cinq ans pour les cégeps, ce plan vise des interventions sur quatre axes : accès, transition, réussite et recherche. Nous vous proposons un premier bilan de chacun de ces axes.
Axe 1 — Accessibilité : surtout, ne pas regarder la poutre…
« On voit la paille dans l’œil de son voisin, mais pas la poutre dans le sien ». Penser l’accessibilité au collégial uniquement du point de vue des cégeps, comme le propose le gouvernement dans son plan d’action, c’est un peu comme regarder la paille, mais refuser de voir la poutre. Certes, des mesures sont toujours possibles pour mieux faire connaitre les programmes aux jeunes des écoles secondaires. Toutefois, comme nous avons pu le présenter dans le document déposé par la FEC lors du Chantier sur la réussite en enseignement supérieur, c’est bien la structure à trois vitesses de l’école secondaire qui a le plus d’influence sur l’accès au collégial. Rappelons ici que le taux d’accès varie de 37 % pour le secondaire régulier à 94 % pour les écoles privées ! Il faudrait donc améliorer la mixité sociale et scolaire avant le cégep pour favoriser l’accès, mais cela aurait pour conséquence, et il faudrait l’accepter, que plus on favoriserait l’accès au collégial, plus on risquerait d’avoir de la difficulté à faire augmenter le taux de réussite de 5 % d’ici 2027.
Axe 2 — Transition : une cohorte COVID à prendre en compte
Certaines et certains jeunes ont terminé leur secondaire à distance et ont effectué une grande partie de leur parcours collégial en mode virtuel. Ceci n’est pas sans incidence sur la réussite, d’autant plus que le Règlement sur le régime des études collégiales (RREC) a été modifié pour permettre aux étudiantes et aux étudiants d’obtenir plus aisément la mention « incomplet » plutôt que « échec » sur leur bulletin. Ajoutons à cela les enjeux liés à la santé mentale provoqués également par la crise sanitaire, qui font en sorte que le milieu de l’éducation, dans son ensemble, se retrouve dans une situation de vulnérabilité importante. Encore une fois, bien qu’il faille accueillir avec satisfaction l’ajout de ressources pour la transition secondaire-collégial, il faut s’interroger sur l’objectif principal du PARES, qui est d’augmenter rapidement le taux de diplomation, dans un tel contexte de crise sanitaire.
Axe 3 — Réussite : des chiffres… et des lettres
L’axe 3 accapare la grosse part des budgets alloués aux collèges, soit plus de 50 %. Ce sont également les mesures de cet axe qui interpellent le plus les enseignantes et les enseignants : perfectionnement, embauche de personnels professionnel et enseignant, communautés de pratique et pratiques pédagogiques à impact élevé y sont en effet mentionnés. À cette liste s’ajoutent les deux comités de travail sur la formation générale, l’un portant sur le français au collégial et l’autre, sur les cours tout d’abord qualifiés de « cours écueils », puis rebaptisés « cours défis » après les critiques soulevées dans le milieu par cette appellation. Certains aspects de la démarche proposée sont intéressants, notamment le rappel, par le ministère, que le perfectionnement proposé se fait sur une base volontaire. De plus, au moment d’écrire ces lignes, les comités des enseignantes et enseignants de français et de philosophie étaient bel et bien consultés en ce qui a trait aux travaux à mener concernant les cours « défis », qui s’échelonneront encore sur un an.
Pour le moment, le rapport sur le français rédigé par un groupe ne comptant aucune enseignante et aucun enseignant de cégep, faut-il le préciser, n’a pas encore été rendu public, et les réels travaux sur la réussite des cours de français et de philosophie n’ont toujours pas débuté.
Un autre enjeu nous préoccupe plus particulièrement, soit la répartition des ressources associées à la mesure 3.2, qui prévoit l’embauche de personnels professionnel et enseignant. C’est la mesure dotée du plus gros budget. Or, l’absence de précisions sur la répartition des ressources entre les deux corps d’emploi nous inquiète. En effet, au cours des dernières années, et malgré l’ajout de ressources intégrées dans le régime budgétaire des cégeps, on a pu constater une augmentation du nombre de cadres et de professionnelles et professionnels, mais une stagnation du nombre d’enseignantes et enseignants (voir tableau 4, page 18. Reprendre le chemin de l’égalité des chances). Nous avons donc déjà interpellé le ministère afin d’apporter des modifications à ce document révisé chaque année (consulter le communiqué : Pour réussir, ça prend des profs).
Il faut en effet que davantage d’enseignantes et enseignants soient libéré.es pour soit assurer un meilleur encadrement de la population étudiante, soit participer à des projets telles les communautés de pratique, par exemple, qui auront été mises sur pied de leur propre initiative. Sans cet ajout de ressources, la valorisation des pratiques à impact élevé que promeut la Fédération des cégeps va finir par ressembler à un appel à améliorer le taux de productivité des enseignantes et enseignants : plus de réussite sans nouvelles ressources enseignantes !
Axe 4 — Recherche : des robots… et des profs
Enfin, bien que l’axe de la recherche soit demeuré un peu dans l’angle mort du lancement du plan d’action, il a suscité plusieurs réactions parmi nos collègues. Loin d’être concentrées sur le récent lancement de l’Observatoire de la réussite en enseignement supérieur, qui peut sembler une bonne chose, ces réactions portaient davantage sur l’utilisation impromptue de l’intelligence artificielle (IA) dans certains établissements. Si la formation à distance occupe beaucoup les esprits avec la crise sanitaire, la décision de plusieurs directions de cégep, encouragée par le plan d’action ministériel à utiliser l’IA pour offrir du soutien aux étudiantes et des étudiants, démontre que l’utilisation du numérique en éducation dépasse bien la FAD. Des robots conversationnels ont ainsi été annoncés comme étant maintenant disponibles dans les cégeps, ce qui est loin de faire l’unanimité parmi le personnel enseignant.
Vous avez dit collaboration ?
Dans son plan d’action, le ministère de l’Enseignement supérieur énonçait cinq principes directeurs repris d’ailleurs du document d’orientation de la Fédération des cégeps : collaboration et concertation, partage de l’expertise, souplesse, équité et inclusion, et complémentarité. Au regard des échos que nous avons des débuts de la mise en œuvre du PARES, nous ne pouvons que constater que ces principes sont parfois mis de côté au profit d’une vision plus directive que collaborative. Qui a été consulté sur l’utilisation des budgets disponibles depuis la rentrée 2021 ?
Terminons cependant ce premier bilan par la description d’un processus de consultation très intéressant qui se déroule présentement au cégep de Rivière-du-Loup. Un comité formé de trois enseignantes libérées a en effet été mis sur pied avec le mandat de :
- Documenter la réalité du cégep de Rivière-du-Loup en matière de réussite ;
- Consulter la communauté collégiale sur les enjeux liés à la réussite ;
- Produire un portrait des besoins locaux concernant la réussite ;
- Proposer des recommandations afin d’orienter l’utilisation des ressources financées en lien avec le Plan d’action pour la réussite en enseignement supérieur.
Alors que la Fédération des cégeps constatait justement que le réseau naviguait un peu à vue concernant la réussite, par manque de connaissances sur ce qui fonctionnait ou pas, l’exercice proposé à Rivière-du-Loup nous apparaît être le plus adéquat pour favoriser des projets mobilisateurs qui favoriseront réellement la réussite des cégépiennes et cégépiens.