Violences faites aux femmes : de l’horreur à l’espoir

6 décembre 2021

Par Silvie Lemelin, coordonnatrice du comité de la condition des femmes (FEC-CSQ)

En ce 32e anniversaire des féminicides de Polytechnique, et alors que se terminent les 12 jours d’action contre les violences faites aux femmes, prenons un moment pour jeter un regard sur la dernière année. 

Les 18 féminicides s’étant produits jusqu’ici au Québec en 2021 ont de quoi nous décourager.  Devant tant de vies de femmes détruites, des femmes jeunes, d’autres moins, des femmes autochtones, arabes d’origine, noires ou blanches, habitant en ville ou en région, tuées par leur conjoint ou leur ex, qui est parfois allé jusqu’à assassiner leurs enfants, un sentiment d’horreur puis d’impuissance s’empare de nous. Que pouvons-nous faire, au juste?  Certes, il faut être à l’écoute des femmes de notre entourage, les croire, ne pas les juger, connaître les ressources disponibles pour les référer et les accompagner au besoin dans leurs démarches. Mais ces gestes individuels que nous pouvons toutes et tous poser doivent être appuyés par des actions collectives initiées par l’État, le plus souvent sous la pression des groupes féministes. 

C’est pourquoi il faut aussi souligner les quelques progrès réalisés (ou en voie de l’être) et se réjouir de certaines actions du gouvernement du Québec qui nous permettent de garder espoir. En voici quatre. 

La sensibilisation des hommes violents
La première est la campagne de sensibilisation s’adressant aux hommes[1]. Sans être une panacée, évidemment, les deux publicités diffusées en 2021 montraient que la violence faite aux femmes, qu’elle soit verbale, psychologique, économique, physique ou sexuelle, n’est pas une perte de contrôle de l’homme provoquée par le comportement de la femme mais, au contraire, une prise de contrôle par l’homme sur la femme. La responsabilité en incombe à l’homme violent. Le message est clair : messieurs, responsabilisez-vous et changez! Des groupes d’aide existent, consultez!

Un tribunal spécialisé
Réjouissons-nous aussi de l’adoption à l’unanimité, le 25 novembre dernier, précisément au moment où étaient lancés les 12 jours d’action contre les violences faites aux femmes, du très attendu projet de loi créant un tribunal spécialisé en matière de violences sexuelle et conjugale. Depuis le mouvement #Metoo, nombreuses étaient les victimes à avoir témoigné de la difficulté de porter plainte, de voir leur plainte non retenue, de n’être pas suffisamment informées et accompagnées avant ou durant le processus judiciaire, d’être contre-interrogées par un avocat qui fait tout son possible pour attaquer leur crédibilité, et d’être entendues par une magistrature à la formation déficiente en matière de traumatologie. Les documentaires T’as juste à porter plainte, de Léa Clermont-Dion, et La parfaite victime, des journalistes Émilie Perreault et Monic Néron, tous deux diffusés cette année, sont très révélateurs à cet égard.  Il faut remercier Véronique Hivon, du Parti québécois, qui a piloté ce projet de tribunal spécialisé depuis les tout débuts, appuyée ensuite par la ministre de la Justice d'alors, Sonia LeBel, et par les députées Christine Labrie de Québec solidaire et Hélène David du Parti libéral. Reste à voir comment exactement seront ficelés les cinq à dix projets pilotes annoncés, mais il s’agit là d’une avancée dans le dossier des violences faites aux femmes.

Des bracelets antirapprochements
La toute récente annonce faite par la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, constitue un troisième progrès : des bracelets antirapprochements pourront, dès le printemps prochain, géolocaliser les personnes reconnues coupables de violence conjugale ou en attente d’un procès afin de prévenir leur victime si elles entrent dans le périmètre interdit. « La décision sera prise par un juge, un directeur d’établissement de détention provincial ou par la Commission des libérations conditionnelles du Québec. Il pourrait, par exemple, s’agir d’une exigence pour bénéficier d’une libération conditionnelle. » [2] Voilà qui, sans constituer la solution magique, contribuera à sécuriser davantage des femmes qui vivent dans la peur.   

Une nouvelle responsabilité en matière de violence conjugale octroyée à l’employeur
La dernière avancée intéressante à souligner, quoique l’on en ait moins parlé dans les médias, est l’adoption, le 30 septembre dernier, du Projet de loi 59 modernisant le régime de santé et de sécurité du travail. Fort décriée par les centrales syndicales pour ne pas suffisamment protéger les travailleurs et particulièrement les travailleuses dont les maladies professionnelles sont moins bien reconnues, cette loi a quand même le mérite d’octroyer une nouvelle responsabilité à l’employeur en matière de violence conjugale. En effet, elle stipule que celui-ci doit « prendre les mesures pour assurer la protection du travailleur exposé sur les lieux de travail à une situation de violence physique ou psychologique incluant la violence conjugale et familiale […] » [3] lorsqu’il sait que son employé.e en subit ou lorsqu’il devrait vraisemblablement le savoir. Certain.e.s s’écrieront peut-être : « Mais n’est-ce pas là un problème purement privé qu’on ne peut imputer à l’employeur? » Il faut savoir que la violence conjugale suit les femmes jusqu’au travail, comme le montre une étude pancanadienne réalisée en 2014.

L’étude identifiait les principales formes de violence en milieu de travail : harcèlement par téléphone ou message texte (40,6 %); filature, surveillance ou harcèlement à proximité du lieu de travail (20,5 %); intrusion de la personne violente sur le lieu de travail (18,2 %); harcèlement par courriel (15,6 %). Plus de 80 % des femmes victimes de violence conjugale rapportaient que ces actions avaient affecté négativement leur rendement au travail.[4]

C’est d’ailleurs parce que cette violence conjugale se manifeste souvent sur les lieux de travail que l’Organisation internationale du travail (OIT) adoptait en 2019 une convention recommandant ce type de mesure aux États membres, comme l’avaient déjà fait plusieurs provinces canadiennes[5]. Ainsi, nos directions de cégep devront désormais protéger adéquatement les victimes de violence conjugale, et les syndicats devront quant à eux veiller à ce que ces mesures soient efficaces pour aider leurs membres.

Encore ici, il s’agit d’un pas dans la bonne direction qui donne espoir qu’un jour, lorsque les parlements, les ministères, les employeurs, les syndicats et tous les individus, hommes et femmes, se joindront aux féministes et aux groupes d’aide aux victimes, la violence conjugale et les féminicides ne seront plus que de rares rappels de l’ancienne société patriarcale dans laquelle nous vivions.   

D’ici là, afin de mieux les outiller sur cette nouvelle responsabilité de l’employeur en matière de violence conjugale, la FEC invite les applicateurs et applicatrices de convention, les membres des bureaux syndicaux et les membres du comité de la condition des femmes (CCF) à une séance conjointe du  Comité d’interprétation, de formation et d’application de la convention collective (CIFAC) et du CCF, qui se tiendra sur Zoom le vendredi 28 janvier prochain, de 9 h à 11 h.  L’excellente professeure de sciences juridiques à l’UQAM, Rachel Cox, présentera à leur intention ces nouvelles dispositions légales et abordera le rôle des cégeps, des syndicats et des collègues dans la prévention et la protection des travailleuses et travailleurs aux prises avec une situation de violence conjugale.  C’est un rendez-vous syndical et féministe à ne pas manquer!

[1]
La première publicité peut être vue ici : https://www.youtube.com/watch?v=Eq2fWHmwMfI et la deuxième ici :  https://www.youtube.com/watch?v=ICcRb6qXxi0

[2] Isabelle DUCAS, « Québec introduit les bracelets antirapprochement », La Presse (1er décembre 2021), https://www.lapresse.ca/actualites/2021-12-01/violence-conjugale/quebec-introduit-les-bracelets-antirapprochement.php (page consultée le 2 décembre 2021).

[3] Article 143 de la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité au travail, qui prévoit que l’article 51 de la LSST est modifié… 4° par l’ajout, à la fin, de ce qui suit : « 16° prendre les mesures pour assurer la protection du travailleur exposé sur les lieux de travail à une situation de violence physique ou psychologique, incluant la violence conjugale ou familiale. Aux fins du paragraphe 16° du premier alinéa, dans le cas d’une situation de violence conjugale ou familiale, l’employeur est tenu de prendre les mesures lorsqu’il sait ou devrait raisonnablement savoir que le travailleur est exposé à cette violence. ».

[4] Claude GAUVREAU, « Enrayer la violence conjugale au travail », Actualités UQAM (4 octobre 2021), https://actualites.uqam.ca/2021/enrayer-violence-conjugale-travail (page consultée le 1er décembre 2021.

[5] L’Ontario, en 2009, l’Alberta, en 2017, le Nouveau-Brunswick, en 2018, et Terre-Neuve et Labrador, en 2019.