Réussite au collégial : attention aux fausses bonnes idées !

19 octobre 2021

Lucie Piché, présidente de la FEC-CSQ

Le 9 octobre dernier, dans les pages du journal Le Devoir, le président de la Fédération des cégeps se défendait d’avoir voulu autoriser l’utilisation du logiciel Antidote pour le passage de l’épreuve uniforme de français (EUF). Plutôt que de revenir sur cette idée, qui a déjà été rejetée par la ministre McCann, nous souhaitons intervenir plus largement sur l’enjeu important de la réussite.

Comme le souligne Bernard Tremblay dans ce même texte, cela fait plus de deux ans que la Fédération regroupant les directions des cégeps travaille pour trouver des solutions visant à augmenter le taux de diplomation « qui stagne autour de 65 % depuis trop longtemps ». Reprenant de nombreuses suggestions de la Fédération des cégeps publiées dans un document intitulé La réussite au cégep : regards rétrospectifs et prospectifs , la ministre de l’Enseignement supérieur a publié un plan d’action pour la réussite au début du mois de septembre. Doté d’un budget de 40 millions de dollars par année, le réseau collégial est appelé à mettre en place, dans les cinq prochaines années, un ensemble de mesures visant notamment l’orientation et l’accueil des étudiantes et étudiants, mais également le perfectionnement du personnel.

La FEC-CSQ a déjà pu exprimer certaines réserves dans le cadre du Chantier sur la réussite organisé par la ministre McCann l’année dernière. Dans notre document intitulé, Reprendre le chemin de l’égalité des chances, nous rappelions que cela fait plus de 20 ans que les établissements postsecondaires sont soumis à des cibles de performance – un processus initié par François Legault alors qu’il était ministre de l’Éducation, et ce, sans succès clairs. C’est pourquoi, s’il est certes louable, l’objectif visant à atteindre 68 % de diplomation en 2023 n’est pas pour autant atteignable, croyons-nous, si on applique des solutions n’ayant pas fait leurs preuves par le passé. On a ainsi vu la proportion de cadres et de personnel professionnel augmenter respectivement de 17% et 27% entre 2010 et 2020, et ce, sans que n’augmentent les taux de diplomation. Pendant cette même période, la proportion de profs est demeurée la même…

La pression pédagogique souvent induite par le processus de reddition de compte associé aux cibles de performance est également une source d’inquiétude pour nous. Alors que la ministre a mentionné son intérêt pour la mise en place de communautés de pratique multicatégorielles, la Fédération des cégeps insiste quant à elle sur la notion de « pratiques à impact élevé ». Les enseignantes et enseignants du réseau collégial s’évertuent pourtant quasi quotidiennement à faire évaluer leurs pratiques individuelles et collectives. La situation actuelle a-t-elle suffisamment été évaluée pour tirer de telles orientations?

Il faut également rappeler, d’une part, que les communautés que sont nos départements permettent déjà de riches échanges concernant nos pratiques enseignantes et que, d’autre part, cela fait plus d’une décennie que les enseignantes et enseignants du réseau collégial s’évertuent à diffuser et à faire évoluer leurs pratiques enseignantes comme en témoignent, notamment, toutes les activités présentées dans le cadre du colloque annuel de l’Association québécoise de pédagogie collégiale (AQPC). Enfin, il faut aussi mentionner que plus on met l’accent sur l’accessibilité au collégial, plus la réussite devient difficile. Les cohortes COVID qui ont étudié à distance au secondaire ajouteront également des défis supplémentaires.

Nous comptons pour notre part continuer à participer à la réflexion sur la réussite, mais il faut faire attention aux fausses bonnes idées qui ressortiront du plan d’action ministériel. Espérons ainsi que les comités de travail sur la maitrise du français et sur la formation générale iront plus loin que les lieux communs. Par exemple, la différence de réussite entre les collèges anglophones et francophones qui semble justifier les travaux sur les cours de français et de philosophie ne semble pas résister à l’analyse. Cette différence de taux ne prend en effet pas en considération les caractéristiques individuelles des élèves - caractéristiques qui déterminent pourtant l’ensemble des parcours scolaires. Alors que les cégeps anglophones sélectionnent davantage que les autres, notamment à Montréal, il est normal qu’ils réussissent davantage à faire diplômer. Cet exemple démontre bien qu’il nous faut des données fiables pour conduire une analyse exhaustive des facteurs de la réussite et éviter ainsi de mettre en place des mesures n’ayant pas ou peu d’effet sur les taux de diplomation.