Alors que le documentaire-choc Derrière nos écrans de fumée, traitant des dilemmes que soulève l’utilisation des réseaux sociaux, a attiré l’attention de très nombreuses personnes au cours des dernières semaines et que l’éducation virtuelle s’est imposée en enseignement supérieur, il nous apparaît nécessaire de revenir sur « l’effet-écran » en éducation. Derrière nos écrans d’enseignantes et d’enseignants, nous revendiquons une certaine vision de l’éducation qui, nous l’espérons, influencera l’utilisation qui pourrait être faite du numérique dans ce domaine clé de nos sociétés.
Depuis le début de la pandémie, nous avons assisté à un développement fulgurant de la formation à distance au collégial. Comme il est devenu (déjà) coutume de le dire, il y a eu un avant et il y aura un après-COVID-19. L’utilisation des outils technologiques n’est toutefois pas apparue avec la pandémie. Colloques et congrès, dont celui de notre fédération syndicale de juin 2019, étaient nombreux à porter sur les effets de la révolution numérique en cours. Le gouvernement du Québec avait d’ailleurs déployé un imposant plan d’action numérique dont un projet de e-Campus pour l’enseignement supérieur. En participant dernièrement à des rencontres concernant ce campus virtuel, nous y avons notamment appris que seraient mises à la disposition de la population étudiante et du personnel des ressources éducatives en ligne, de même qu’une offre de cours à distance déjà présente dans les cégeps et les universités.
La situation actuelle, où la presque totalité des enseignantes et des enseignants du réseau collégial a dû monter des cours en ligne en quelques semaines (alors que des organismes comme Cégep@distance le font en un ou deux ans !), a accéléré l’utilisation des nouvelles technologies. Elle a également entraîné avec elle son lot de surcharge de travail pour les profs, d’anxiété pour les jeunes et soulève de grandes inquiétudes pour l’avenir. Et c’est bien là qu’un parallèle peut être fait avec le documentaire Derrière nos écrans de fumée.Tout comme l’utilisation des réseaux sociaux peut avoir une influence sur la démocratie ou la santé mentale, par exemple, l’utilisation du numérique en éducation n’est pas neutre.
Ainsi, comme l’a mis en relief ce documentaire, les algorithmes ne sont pas bons ou mauvais. Derrière la programmation informatique, il y a plutôt une décision humaine qui détermine l’objectif recherché : dans de trop nombreux cas, faire des profits en captant notre attention. Tel est le détour que nous souhaitons faire pour mettre en garde le milieu de l’éducation sur les objectifs qui seront visés lorsqu’il sera le temps d’utiliser les nouvelles technologies en éducation postpandémie.
Nous croyons que ces outils doivent demeurer des moyens (et non des fins) visant notamment à favoriser l’accessibilité à l’éducation postsecondaire et la socialisation. Bien sûr, une telle perspective constitue un parti pris pour le « présentiel » et pour des établissements d’enseignement qui coopèrent plutôt que de se faire concurrence les uns les autres en multipliant les formations payantes. Un parti pris pour que les pouvoirs publics encadrent les pratiques existantes afin de limiter le développement d’un grand eMarché de l’éducation en ligne. Pour ce faire et pour conclure, je nous invite à relire la Déclaration de Montréal sur l’intelligence artificielle responsable. On retrouve dans ce texte un ensemble de valeurs qui devraient guider le développement et l’utilisation du numérique, comme le démontre la formule suivante, tirée du préambule : « Réduire la société à des nombres et la gouverner par des procédures algorithmiques est un vieux rêve qui nourrit encore les ambitions humaines. Mais dans les affaires humaines, demain ressemble rarement à aujourd’hui, et les nombres ne disent pas ce qui a une valeur morale, ni ce qui est socialement acceptable. »
*Texte publié dans Le Devoir et Le Soleil le samedi 26 septembre