Lucie Piché, présidente de la FEC-CSQ
La publication récente d’un palmarès des cégeps par le groupe Québecor doit être vivement dénoncée. Fondé uniquement sur le taux de diplomation de chacune des institutions recensées, ce palmarès ne témoigne en rien des parcours étudiants, ne révélant que les effets d’un phénomène tautologique : regroupez en une même institution les étudiantes et étudiants détenant les meilleurs résultats scolaires et vous obtiendrez les plus hauts taux de diplomation.
Reconnaissant pourtant que « le taux de diplomation n’est pas un indicateur absolu de la performance d’un cégep », le rédacteur en chef du Journal de Québec responsable du projet, Sébastien Ménard, affirme néanmoins que c’est le meilleur indicateur du « rendement du réseau des cégeps ». Voilà donc la réussite éducative évaluée à l’aune de son « rendement »! Ce langage managérial fondé sur une logique marchande de l’éducation n’est que l’aboutissement de la compétition malsaine à laquelle se livrent les cégeps depuis trop longtemps. Cette compétition, avivée par les coupures auxquelles ont été confrontés les cégeps au cours de la dernière décennie, dresse les cégeps les uns contre les autres, concentrés qu’ils sont sur les meilleures stratégies à mettre en oeuvre dans leur quête de « clientèle » : multiplication des profils à «saveur spécifique», tourisme à la carte, car les programmes se doivent d’offrir des voyages, DEC bilingue adopté sans balises, course à la « clientèle internationale » et j’en passe! La Fédération des cégeps a beau condamner par communiqué le palmarès qui vient d’être publié, il n’en demeure pas moins que certaines de ses composantes que sont les directions de collèges font déjà les gorges chaudes avec les résultats de leur classement et que la majorité participe depuis longtemps à cette libre concurrence qui n’a pas sa place dans un réseau public.
"Nourrir la bête"
Dans les grands centres urbains où plusieurs cégeps ont pignon sur rue, la concurrence est vive en effet et ce palmarès ne fera qu’exacerber la compétition que se livrent les cégeps du réseau public, trahissant ainsi leur mission première qui est de favoriser l’accessibilité aux études supérieures. On ne fait ici que reproduire ce que le réseau scolaire vit depuis bon nombre d’années, soit ce système à trois vitesses où les écoles privées subventionnées (les collèges privés sont également subventionnés) et les écoles publiques à programmes particuliers attirent les meilleurs élèves, laissant au réseau régulier ceux et celles qui ont des parcours scolaires plus difficiles. Et on s’étonnera ensuite des taux de diplomation différenciés qu’un palmarès vient mettre en lumière, «nourrissant la bête»!
L’Actualité publiait un tel palmarès pour les écoles secondaires avant d’abandonner cette pratique en 2008, se rendant aux arguments de celles et ceux qui, études à l’appui, soulignaient les fondements non scientifiques d’une telle démarche et ses effets néfastes pour le réseau scolaire. Québecor l’a malheureusement reprise depuis, exacerbant la compétition dans le réseau scolaire. Et voilà qu’on cible maintenant le réseau collégial pour mieux vendre des copies.
L'éducation n'est pas une marchandise
Concevoir l’éducation comme une marchandise nuit à la mixité sociale en homogénéisant non seulement les classes, mais les cégeps eux-mêmes. Ainsi en est-il des cégeps anglophones (fréquentés par des populations étudiantes francophones et allophones dans des proportions variant de 40 à 60 %) qui drainent les meilleurs éléments du système scolaire et qui peuvent ainsi présenter des taux de diplomation élevés et ainsi mieux attirer les inscriptions étudiantes. Certes, un « effet établissement » peut exister et influencer la réussite des jeunes, mais les recherches démontrent que cet effet arrive en queue de peloton des déterminants de la réussite. Les trois premiers facteurs à prendre en considération, selon Simon Larose de l’Université Laval, sont plutôt : « qui est l’étudiant » (son origine sociale), « ce que fait l’étudiant » (temps consacré aux études, etc.) ainsi que « ce qui se passe en classe » (la relation maître-élève).
Les profs de cégeps sont investi.e.s au quotidien pour l’accomplissement personnel et scolaire des jeunes, indépendamment de leur moyenne à l’admission, de leurs errements dans leur parcours scolaire et des autres aléas que la vie nous réserve en cette période transitoire. La concurrence, la compétition et la rentabilité n’ont pas leur place en éducation, pas plus qu’en santé ou en matière de services de garde. On peut donc conclure avec ce non-palmarès que Québecor et les responsables du dossier n’ont pas fait leurs devoirs et ne méritent pas la note de passage!
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