Le gouvernement actuel se targue de mettre l’éducation au cœur de ses priorités tout comme la valorisation de la profession enseignante. Force est de constater, à observer la levée de boucliers que suscitent le projet d’abolition de trois techniques en administration, les modifications du règlement du Programme de l'expérience québécoise (PEQ) ou encore celles concernant le programme de Sciences de la nature, que tel n’est pas le cas. Pourtant, les programmes, portés à bout de bras par les enseignantes et les enseignants et leurs départements, sont au cœur de nos cégeps. D’où l’intérêt de rappeler ces trois fiascos et les leçons qu’il faut en tirer.
Fiasco no 1 : la réforme du PEQ
Le Programme de l’expérience québécoise (PEQ), offert par le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Inclusion (MIFI), vise notamment à émettre des certificats de sélection du Québec aux étudiantes et étudiants qui terminent une formation dans les établissements d’enseignement supérieur québécois et qui souhaitent demeurer en sol québécois par la suite. Or, la réforme proposée par le ministre Jolin-Barette visait à en limiter l’accès aux seules personnes inscrites dans les secteurs marqués du sceau de la rareté de la main-d’œuvre. Cette vision essentiellement utilitariste de l’éducation a fait réagir extrêmement vivement l’ensemble du milieu de l’éducation. Outre l’impact néfaste notable dans certains établissements qui, comme le Cégep de Matane, comptent 45 % d’étudiantes et d’étudiants étrangers, le message gouvernemental envoyé était à l’effet que certaines disciplines sont plus « utiles » que d’autres. Dans cette perspective, bien sûr, les sciences humaines étaient notamment dévalorisées. Heureusement, la mobilisation a forcé la CAQ à reculer en moins d’une semaine afin de prendre le temps de… consulter les acteurs concernés! Mieux vaut tard que jamais et nous aurons l’occasion de signifier prochainement notre position au ministre. Une résolution a d’ailleurs été adoptée à l’unanimité par les représentantes et représentants des syndicats affiliés lors de notre conseil général de novembre dernier à l’effet que la FEC-CSQ « exige le maintien du PEQ tel qu’actuellement libellé, dénonce toute volonté d’en restreindre l’admissibilité et assure une veille sur la question ».
Fiasco no 2 : la révision des programmes Bureautique, Comptabilité et gestion et Gestion de commerces
Au cours des dernières semaines, les travaux du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES) concernant les programmes du secteur de formation administration, commerce et informatique ont engendré de nombreuses réactions dans le milieu collégial. Plus particulièrement, l’abolition des programmes Techniques de comptabilité et de gestion (410.B0), Gestion de commerces (410.D0) et Techniques de bureautique (412.A0), annoncée dans un document d’orientation déposé au Comité national des programmes d’études professionnels et techniques (CNPEPT), a suscité inquiétude et stupéfaction. Bien que certains états de situation avaient été menés préalablement à cette annonce, cette dernière est tombée comme un couperet sans que les cégeps, les profs et les étudiantes et étudiants n’aient été largement consultés. Pourtant, selon le directeur du Service régional d’admission du Montréal métropolitain (SRAM), les programmes Gestion de commerces et Comptabilité et gestion ont connu une croissance des effectifs depuis 10 ans, malgré la baisse de la population étudiante dans son ensemble. Au Cégep de Drummondville, les inscriptions à ces trois programmes représentaient, à l’automne 2019, près de 10 % des effectifs étudiants. Encore une fois, la mobilisation des enseignantes et des enseignants ainsi que les représentations politiques ont permis de suspendre ces fermetures et de revendiquer une réelle consultation des parties prenantes dans ce cas, comme dans l’ensemble des processus de révision. Ces démarches nous ont notamment permis, en collaboration avec la CSQ, d’interpeller la direction des programmes de formation technique au MEES ainsi que lors des rencontres du CNPEPT. Le développement d’une approche inclusive ainsi qu’une transmission d’informations plus fluide apparaissent indispensables.
Fiasco no 3 : la réforme du programme de Sciences de la nature
La révision du programme Sciences de la nature était pour sa part attendue et souhaitée depuis longtemps dans le milieu collégial, la dernière révision ayant été réalisée en 1998. Or, la nouvelle mouture du programme a plutôt provoqué une onde de choc. Les changements qui étaient en effet proposés réorganisaient totalement la distribution des compétences au sein du programme. D’une part, les compétences n’étaient plus associées spécifiquement à des cours et, d’autre part, il y avait une redistribution importante du nombre d’heures de cours entre les disciplines porteuses que sont biologie, chimie, physique et mathématique. Plusieurs enseignantes et enseignants concernés nous ont alors fait part de leurs inquiétudes touchant l’organisation du travail et l’impact sur la tâche enseignante, mais, également, les parcours étudiants et la valeur du diplôme. En effet, un certain nombre de compétences étant facultatives alors que d’autres pouvaient être assurées par l’une ou l’autre des disciplines, et ce, au choix de chacun des collèges, on pouvait se demander quelle serait la valeur du diplôme national, de même que le profil de sortie des diplômées et diplômés au regard de l’accès aux différentes universités. La volonté de laisser à chacun des cégeps une plus grande latitude pour donner une « couleur locale » au programme réformé risquait en effet d’amplifier la diversité des profils de sortie, tout en exacerbant la compétition au sein du réseau collégial.
Résultat : contestation, mobilisation et… nouvelle consultation, avec la constitution d’un comité d’experts qui a d’ailleurs déposé son rapport le 20 novembre. Les résultats de ces travaux s’avèrent plutôt rassurants, car il est conclu notamment qu’ « un programme à caractère universel sur tout le territoire québécois facilitera sa mise en œuvre au collégial, permettra de mieux tenir compte des trajectoires diversifiées des étudiants et favorisera la continuité par rapport aux programmes universitaires de même que la reconnaissance de la valeur du programme lors de l’admission à l’université ». Il faudra cependant surveiller ce que le MEES en fera. On peut également se demander pourquoi avoir mobilisé tant de ressources en aval alors qu’une consultation en amont aurait permis d’éviter ce énième fiasco…
Conclusion : plus de consultation S.V.P.!
Vécus sous la houlette de fonctionnaires qu’on presse à réviser des programmes par souci d’efficience sans pour autant être en phase avec le milieu, ces trois exemples mettent en lumière un réel problème qui a fait perdre temps et énergie à tout le réseau. Le gouvernement doit prendre acte de ces fiascos et organiser la consultation des enseignantes et enseignants comme il se doit pour toute réforme de programme. Ce sont elles et eux les experts disciplinaires. Ce sont également les profs qui coordonnent programmes et départements et qui subissent (notamment les précaires) les fluctuations d’effectifs. Que ce soit pour les programmes techniques, les programmes préuniversitaires ou pour les politiques qui touchent l’ensemble du réseau, il ne suffit pas de nommer cinq ou six personnes à un comité pour estimer avoir été consulté. Les organisations syndicales fédératives ou locales ont peut-être bien des défauts aux yeux de certains, mais, en ce qui a trait à la consultation organisée, elles en sont expertes. À bon entendeur, salut!