Autonomie et reconnaissance du travail enseignant

8 août 2017

Si la mise en place d’un modèle de gestion plus participatif permet effectivement de favoriser l’autonomie professionnelle, cela n’est toutefois pas suffisant.

Plusieurs s’interrogent en effet sur la pertinence d’assister à des rencontres dont la prise en compte des décisions n’est pas systématique. Renforcer le pouvoir et clarifier les processus de prise de décisions pourraient, dans un premier temps, favoriser la participation. De plus, des éléments contextuels viennent nuire à la participation individuelle ou collective. Le renouvellement important du corps professoral au cours des dernières années a pu, par exemple, entraîner une perte de connaissances sur les pratiques existantes. La mise en oeuvre de l’approche programme a, quant à elle, brouillé les cartes entre le lieu privilégié et naturel d’autonomie professionnelle qu’est le département et le nouveau comité de programme. Les directions et le ministère agissent davantage pour mettre de l’avant le comité de programme, alors que les enseignantes et les enseignants continuent de reconnaître davantage le département comme lieu d’appartenance.

Toutefois, c’est sans doute l’alourdissement de la charge de travail, provoqué notamment par la réforme Robillard, par les nouvelles technologies et par la croissance de la population étudiante avec des besoins particuliers, qui doit être ciblé. Lorsque l’on peine à remplir sa charge individuelle de travail dans le temps prescrit, il devient de plus en plus difficile de s’investir dans des espaces collectifs de prise de décisions. Ce constat s’applique à toutes et à tous en ce qui a trait à la participation aux instances départementales ou syndicales, mais il s’applique aussi aux représentantes et aux représentants départementaux ou instances. Cet enjeu est d’autant plus crucial lorsque l’on souhaite valoriser l’autonomie professionnelle via un mode de gestion plus participatif, car le nombre de comités et de réunions risque de s’accroître. […]

Afin de renforcer l’autonomie individuelle, il a également été demandé en négociation de mieux reconnaître l’autonomie collective en augmentant le pouvoir des instances décisionnelles auxquelles les enseignantes et les enseignants sont invités à participer. […] Si la ronde de négociation de 2015 s’est conclue positivement en ce qui concerne la reconnaissance salariale de la profession enseignante au collégial, les demandes concernant l’autonomie professionnelle n’ont pas connu le même succès. Voilà pourquoi il est nécessaire de poursuivre nos actions d’ici la prochaine négociation qui aura lieu seulement en 2020. C’est cette voie qu’a d’ailleurs commencé à emprunter le Syndicat du personnel enseignant du Cégep de la Gaspésie et des Îles à Gaspé (SPECGIG) en proposant l’adoption d’une politique institutionnelle sur la reconnaissance et le développement de l’autonomie professionnelle en réaction à la volonté de la direction de mettre sur pied un nouveau programme d’évaluation de l’enseignement. De l’autonomie prescrite par l’employeur à l’autonomie « gagnée » par les syndicats en passant par celle reconnue comme faisant partie intégrante d’une profession, l’autonomie professionnelle peut référer à différentes dimensions. La recherche d’autonomie au travail contre le contrôle arbitraire d’un employeur est en effet un des fondements de nombreuses luttes syndicales qui ont permis aux collectifs de travail d’avoir une influence sur la détermination de leurs horaires. Plus récemment, les employeurs semblent utiliser la notion d’autonomie afin de déléguer des tâches et des responsabilités à des équipes de travail. Cette approche n’est pas sans provoquer certaines tensions entre collègues, surtout qu’elle est souvent mise en oeuvre en demandant de faire plus avec moins. Enfin, la dimension davantage liée à l’expertise professionnelle d’un groupe peut être considérée comme un processus qui mène ou non au statut de profession.

En ce qui concerne spécifiquement les enseignantes et les enseignants de cégep, on a pu constater que la convention collective contient plusieurs dispositions qui mettent de l’avant l’autonomie professionnelle. D’un point de vue individuel, la préparation, la prestation et l’évaluation des cours relèvent bien de chaque enseignante et enseignant. Toutefois, cela s’accompagne d’une autonomie collective qui s’exerce surtout au sein des départements qui ont des fonctions liées notamment aux conditions d’admission des étudiantes et des étudiants ou aux méthodes pédagogiques. Le rôle de représentation collective du syndicat est également prévu dans plusieurs clauses. De plus, la Loi sur les collèges contient des articles qui permettent au personnel des cégeps de participer aux instances décisionnelles que sont le Conseil d’administration et la Commission des études. Toutefois, dans ces deux cas, la place et le rôle du corps enseignant varient d’un cégep à l’autre. Ces constats sur les espaces d’autonomie existants cachent cependant plusieurs transformations qui les ont mis à mal. D’une part, plusieurs changements législatifs et réglementaires sont venus augmenter les attentes de résultats (en termes de réussite) et le contrôle (l’assurance qualité) envers le travail enseignant tout en augmentant certains espaces d’autonomie collective mais de manière prescrite. D’autre part, la valorisation de modes de gestion issus du secteur privé a, dans certains cas, restreint les possibilités de participation et de consultation tout en augmentant la charge de travail.

L’évolution du contexte d’exercice de la profession enseignante au collégial nous invite donc à conclure que, malgré certains gains, la trajectoire de l’autonomie professionnelle n’est pas linéaire. Il s’avère donc nécessaire de renforcer plusieurs espaces d’influence et de réaffirmer le rôle central du travail en collégialité dans les cégeps. Car, finalement, renforcement de l’autonomie professionnelle et reconnaissance accrue de la profession enseignante au collégial vont de pair.

Pierre Avignon, conseiller à la FEC-CSQ
Texte publié dans le bulletin de la communauté enseignante du cégep de Drummondville, Panorama, mai 2017 et extrait du document thématique du congrès de juin 2016 : « Un espace individuel et collectif à renforcer ».