Le gouvernement de la CAQ écoute-t-il les femmes ?

8 mars 2021

On l’a répété à satiété : la crise actuelle causée par la pandémie a permis de révéler au grand public les faiblesses de nos milieux de travail, que les syndicats dénonçaient depuis longtemps sans pour autant être pris au sérieux. Car bien qu’ils soient essentiels, les services publics, dispensés très majoritairement par des femmes, n’en demeurent pas moins négligés depuis des années. Et les inégalités sociales persistent, comme le rappelle le mouvement féministe tous les 8 mars sans se faire écouter par les récents gouvernements. Or, on le sait bien, ces problèmes et inégalités dans nos conditions de travail ont été exacerbés durant la pandémie.

Par Silvie Lemelin, coordonnatrice du comité de la condition des femmes (FEC-CSQ) 

La CAQ, plus féministe que le PLQ ?
Aurélie Lanctôt écrivait en 2015 Les Libéraux n’aiment pas les femmes, un essai sur l’austérité. Elle écrirait peut-être aujourd’hui que les caquistes ne les aiment pas tellement non plus… Certes, le premier ministre a initialement nommé un cabinet paritaire, mais les rétrogradations des unes et les promotions de leurs collègues masculins semblent contredire cette volonté d’assurer une réelle égalité dans l’exercice du pouvoir exécutif. François Legault a bien approuvé la formation d’un comité transpartisan sur les agressions sexuelles, mais on en attend encore les résultats concrets, tout comme il a promis des places dans les services éducatifs à la petite enfance qui tardent encore à être créées au grand désespoir de nombreux parents. Le projet de loi 59 réformant le régime de santé et de sécurité au travail inclut une nouvelle disposition exigeant des employeurs qu’ils mettent en place des mesures pour protéger les victimes de violence conjugale sur leurs lieux de travail, ce dont il faut se réjouir ! Mais ce même projet de loi, jugé sexiste par les trois groupes d’opposition, discrimine les travailleuses qui seraient moins bien protégées à plusieurs autres égards : les travailleuses domestiques et migrantes seraient d’office exclues des mécanismes de réparation des lésions professionnelles ; les milieux à prédominance féminine seraient classés comme à « risques faibles » alors que la pandémie a révélé combien bon nombre des emplois en santé et en éducation présentent des risques réels pour la santé ; les troubles musculo-squelettiques seraient plus difficiles à faire reconnaître alors que les femmes sont deux fois plus nombreuses que les hommes à subir de telles lésions dues notamment à des mouvements répétitifs ; et enfin les femmes enceintes ou qui allaitent feraient face à de nouveaux obstacles pour bénéficier de leur droit de retrait.

Par ailleurs, le gouvernement de la CAQ a temporairement accordé des primes COVID aux essentielles caissières des épiceries, mais sans les maintenir durablement ni augmenter enfin le salaire minimum à 15 $/h afin de lutter contre la pauvreté, notamment celle des femmes, majoritaires à travailler au salaire minimum dans les services privés. François Legault a beaucoup remercié les « anges gardiens » qui ont tenu le fort dans les CHSLD et les hôpitaux, les écoles et les services éducatifs, alors que les femmes œuvrant dans ces milieux n’étaient ni des anges ni des gardiennes, mais des techniciennes ou professionnelles syndiquées qui auraient mérité une amélioration plus concrète de leurs conditions de travail. Et lorsqu’on observe de près l’absence de résultats à nos tables de négociation, lorsqu’on constate le peu de réponses positives reçues depuis presque un an que nos conventions collectives sont échues, on est en droit de penser que le gouvernement de la CAQ n’écoute ni les syndiqué.e.s, ni les féministes, et encore moins, sans doute, les femmes privées de tout rapport de force.

La voix des enseignantes de cégep aussi ignorée
Pourtant, nous, enseignantes de cégep, nous sommes exprimées dans le processus de renouvellement de notre contrat de travail. Nous avions fait notre propre bilan de la dernière négociation, puis nous avons participé activement à la consultation menant à la rédaction de nos demandes syndicales. Nous savions, nous femmes profs de cégep, que les cinq thèmes retenus pour notre négociation étaient liés entre eux et qu’ils le sont encore plus maintenant. La lourdeur de notre tâche conjuguée au peu d’attractivité des salaires à l’entrée de la profession rendent nos emplois moins courus et posent désormais de sérieux problèmes de recrutement dans certains départements [1] et dans plusieurs régions. La précarité que vivent durant de nombreuses années les jeunes profs de cégep, en particulier à la formation continue, combinée aux exigences de la conciliation famille-travail-vie personnelle, que le télétravail en temps de pandémie a rendue plus difficile encore, nous les vivons d’autant plus durement quand nous sommes de jeunes mamans monoparentales et même encore dans le couple hétérosexuel, parce que nous sommes toujours, malheureusement, les principales responsables de l’organisation familiale. Quant à l’autonomie professionnelle que l’on nous a volontiers reconnue en cette période d’exception covidienne mais que l’on refuse de consolider de peur de ne plus être capable de nous contrôler ensuite, nous savons désormais quels enjeux elle soulève en formation à distance, alors que l’on a souvent dû se débrouiller par soi-même pour « faire plus avec moins ». Voilà pourquoi nous réclamons du soutien technique, pédagogique et surtout une réelle reconnaissance du temps additionnel que requièrent la préparation de nos cours et l’encadrement des élèves avec ce mode d’enseignement.

Le gouvernement caquiste, qui répond non à la plupart de nos demandes, incluant celles qui ont une faible incidence monétaire, semble se comporter comme s’il adhérait encore à une vision dépassée de la « vocation » enseignante, souvent vue comme un dévouement proprement féminin que possèdent toutes celles qui font une profession du « care », mais qui est, au fond, une très habile façon de leur faire accepter des conditions de travail et des salaires moindres. Faut-il craindre qu’au nom de cette supposée « vocation », M. Legault et ses acolytes du Conseil du Trésor et de l’enseignement supérieur — pourtant deux femmes : mesdames Lebel et McCann — jugent les profs incapables d’oser faire la grève en ces temps difficiles, ce que les résultats de nos votes (79 % pour dans l’ensemble de la FEC) démentent pourtant ? Aurait-on affaire à un gouvernement sexiste ? Patriarcal ? Un gouvernement de « mononcles », comme l’ont écrit certain.e.s ?

L’appel des femmes de la FEC en ce 8 mars 2021
À lui de nous démontrer le contraire. À François Legault et à son gouvernement d’écouter les femmes et les féministes, syndiquées ou non. À son gouvernement de faire la preuve qu’il a véritablement choisi de faire de l’éducation sa priorité. Si, depuis le début de la pandémie, le gouvernement avait procédé à une analyse différenciée selon les sexes et intersectionnelle, il aurait compris que les femmes ont été les plus exposées, à cause de leurs secteurs d’emploi en santé et en éducation. Que leur charge s’est beaucoup accrue, tant au travail qu’à la maison où s’est ajouté à la charge mentale le suivi scolaire de leurs propres enfants. Qu’elles sont souvent sous-payées : c’est le cas des femmes immigrantes racisées, surreprésentées chez les préposées aux bénéficiaires. Et que parfois même, leur apport social et économique est carrément invisibilisé : pensons aux proches-aidant.e.s, le plus souvent des femmes, et à leur indispensable soutien au personnel en CHSLD.

Le 8 mars et après, le gouvernement de la CAQ doit écouter les femmes ! Elles lui disent depuis longtemps qu’il faut réinvestir dans les services publics, dans les missions fondamentales de l’État. Cela passe, notamment, par une entente négociée pour le renouvellement de nos conditions de travail, et ce, sur la base des enjeux que les travailleuses ont elles-mêmes identifiés. Plus que jamais, nous avons besoin d’un rééquilibrage des salaires, des tâches et du temps de travail. Pour la pérennité des services publics, pour la population que nous servons avec professionnalisme. Et l’État doit en être la locomotive, pour une véritable égalité des genres.

Visuel disponible ici : Journée internationale des droits des femmes – Centrale des syndicats du Québec (CSQ) (lacsq.org)

[1] Notamment en soins infirmiers, un domaine majoritairement féminin, comme cet article en témoignait : Boris PROULX, « Besoin criant d’infirmières pour former la relève », Le Devoir (2 mars 2021), www.ledevoir.com/societe/sante/596149/besoin-criant-d-infirmieres-pour-former-la-releve (Page consultée le 2 mars 2021).