L’égalité des chances : un modèle injuste?

1 octobre 2010

Entrevue avec François Dubet, professeur de sociologie à l’Université de Bordeaux. En 2010, il a publié Les chances et les places et, à titre de coauteur, Les sociétés et leurs écoles aux éditions du Seuil.

« La réduction des inégalités scolaires n’entraîne pas systématiquement une réduction des inégalités sociales. Faire une bonne école ne signifie pas forcément que l’on va améliorer la société », lance le chercheur français qui s’intéresse depuis plus de 20 ans au milieu de l’éducation. Reconnu pour remettre en question les idées préconçues, il soutient par exemple que, comparée au Canada, la France est un pays dans lequel les inégalités sociales sont moins fortes, mais au sein duquel les inégalités scolaires sont plus élevées.

Remise en cause de « l’imaginaire scolaire » français
« C’est un choc pour les Français lorsqu’on leur dit que l’on n’a pas la meilleure école du monde. Il existe une bataille pour défendre un imaginaire de l’école républicaine alors que les données démontrent autre chose », poursuit le sociologue qui a participé à une réforme des collèges français à la fin des années 90 et qui a pu constater « comment il est difficile de changer l’école alors que la France est convaincue que pour changer la société, il faut changer l’école ». Aux prises avec des problèmes de dévalorisation, de démotivation et même de violence, « la France est devant une nécessité importante de modifier le système scolaire. Avec le gouvernement actuel, les choses vont mal. Nicolas Sarkosy s’intéresse aux élites et souhaite envoyer les meilleurs élèves des établissements défavorisés dans les milieux plus favorisés. Le problème n’est pourtant pas de savoir quoi faire des bons élèves — ils s’en sortent toujours —, mais c’est de savoir quoi faire des élèves plus faibles ».

L’égalité des chances pour des inégalités plus justes, l’égalité des places pour une réduction des inégalités

Pour le sociologue, les positions élitistes du gouvernement français font ressortir les limites de l’égalité des chances « qui suppose que l’héritage et les différences d’éducation soient abolis, afin que le mérite des individus produise, à lui tout seul, des inégalités justes ». Or, au Québec comme en France, l’augmentation de l’accessibilité n’a pas permis à elle seule de garantir ni l’égalité des chances, ni la réduction des inégalités socioéconomiques. Telle une compétition sportive, le modèle de l’égalité des chances cherche à rendre les règles équitables, mais ne garantit en rien une réduction des écarts entre les vainqueurs et les vaincus. Tout en rappelant que l’école doit tout faire pour « offrir l’égalité des chances à des gens inégaux », François Dubet propose de se préoccuper davantage de l’égalité des places. « L’égalité des chances nous entraîne dans une logique sélective qui descend de plus en plus tôt dans le système scolaire, certains parents allant jusqu’à choisir l’école maternelle la plus performante! » L’égalité des places consiste plutôt en une « obligation de donner à tous un socle commun de culture et de compétences auquel un citoyen a droit. Plus les systèmes scolaires maintiennent le socle commun tard, moins il y aura d’inégalités scolaires ». Un argument de poids en faveur de la formation générale commune offerte au cégep.

Faire baisser la pression sur le milieu de l’éducation

« Avec la mondialisation, on a l’impression que l’on ne peut plus agir sur la redistribution des revenus, alors on fait reposer sur l’école la responsabilité de la justice », ajoute François Dubet. Dans le modèle de l’égalité des places, on se préoccupe davantage d’augmenter le salaire des ouvriers pour réduire les inégalités sociales plutôt que de chercher à faire croire à tous les fils d’ouvriers qu’ils peuvent devenir cadres grâce à leur mérite individuel. Selon lui, plusieurs mesures sont donc à mettre de l’avant. Tout d’abord, l’égalité des chances doit être encadrée par des politiques publiques qui réduisent les écarts. Il faut aussi se demander si l’école doit avoir le monopole de la définition du mérite et militer en faveur d’une « deuxième chance » éducative qui permettrait de diminuer la pression sur les jeunes, les enseignants et l’école. Un argument appuyant les demandes en faveur d’un meilleur financement de la formation continue offerte au cégep. La distance qui existe entre inégalités scolaires et inégalités sociales amène François Dubet à conclure en adressant ce message aux enseignantes et aux enseignants : « Ne vous chargez pas de tous les péchés du monde et ne soyez pas obsédés par la réussite. Faites de l’école, une bonne école ». Un message à faire suivre à nos directions des études obsédées par les taux de réussite.

Source : Avignon, Pierre, L'Enjeu express, Bulletin d'Information de la Fédération des enseignantes et enseignants de cégep (FEC-CSQ), Vol.5, no.1, octobre 2010.